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LES LECTURES DU MOUTON
11 août 2020

« Requiem pour une ville perdue » d’Asli Erdoğan

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« Le Temps est un maître qui semble s’être installé ici après un long voyage, et dans la roche il a creusé des portes que seuls les morts savent ouvrir… »

Quand la poésie vient transfigurer la douleur, le désespoir, la solitude, la perte.

Requiem pour une ville : Istanbul. Requiem pour les disparus : les êtres, la liberté, l’insouciance. Requiem pour un paradis perdu : le passé d’Asli Erdoğan, avant l’exil.

Istanbul, une ville entre deux rives comme l’autrice qui se balance entre les vivants et les morts. Avec les mots comme pont, comme lien.

Nous déambulons dans le quartier Galata aux ruelles tortueuses, qui ne ressemblera plus à ce qu’il était avec les bouleversements politiques qu’Asli Erdoğan a su si bien écrire. Au prix de sa liberté. Nous déambulons ainsi, aussi, dans les méandres de l’âme qui fut emprisonnée.

Un livre fragmenté où se côtoient des textes contemplatifs, des réflexions et beaucoup des incertitudes, des peurs, de la nostalgie de l’autrice. Mais surtout, un livre de pure poésie là où pourtant l’écriture n’est qu’écorchure. La plaie béante qui ne cicatrice pas vraiment malgré les mots pour sutures : « la Douleur qui cherche sa voix, la Voix qui cherche son signe ».

Et pourtant, cette nécessité d’écrire même quand elle ne soulage pas, même quand elle semble vaine, même quand elle est difficile à coucher sur le papier tant elle a été privée de liberté. L’exil pèse, l’avenir est flou et le doute s’installe dans l’esprit. La ponctuation en est le témoin avec des phrases qui se « terminent » par des virgules ou trois petits points. Mais toujours ce mantra : « je recrée un « moi » qui puisse survivre au lendemain, à une foule de lendemains… ». Quitte à porter un masque, à jouer sur la dualité. Être un dieu Janus : un visage tourné vers le passé, un autre vers l’avenir. Osciller sans cesse entre le « je » et le « tu ». « Ecrire, par conséquent, c’est toujours devoir porter un masque pour affronter la mort », nous dit-elle.

Un livre sublime, déchirant, aussi ténébreux sur le fond que solaire sur la forme. Un livre qui laisse des traces tant il touche au cœur, même si nous sommes éloignés de son vécu : « Mais qu’est-ce donc que l’être humain, sinon un miroir, un écho ? ».

Asli Erdoğan – Requiem pour une ville perdue – Actes Sud – 135p (traduction de Julien Lapeyre de Cabanes).

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