« Thésée, sa vie nouvelle » de Camille de Toledo
« Nous ne sommes pas des corps isolés
ni des consciences séparées
la matière porte une mémoire, une intelligence plus vastes qui nous relient
nous sommes un flux continu d’apparition et de disparition traversé de mille désastres ».
Trois décès brutaux. Le frère, la mère, le père. Le monde de Camille de Toledo s’effondre en peu de temps. Le choc et ces questions lancinantes en tête :
« Qui commet le meurtre d’un homme qui se tue ? »
« Et celui qui survit, c’est pour raconter quelle histoire ? »
Pourtant, au départ, c’est la fuite. Quitter Paris, la ville de l’Ouest pour Berlin, la ville de l’Est. Camille emporte avec lui des cartons où les morts ont des choses à révéler mais, il ne veut pas se plonger dedans. Il est un « moderne » ; il a toujours appris à se tourner vers l’avenir, à fuir le passé. Et ce commandement familial qui pèse sur lui : « ne pas rouvrir les fenêtres du temps ».
Mais, Camille/Thésée ne va pas avoir le choix de les rouvrir. Son corps le lâche et lui réclame de plonger dans le passé, de convoquer les morts. Pour comprendre ces hasards qui ne semblent pas en être : les suicides, les dates qui coïncident, les douleurs du corps.
Alors, Camille enquête sur les histoires de sa famille : le manuscrit de Talmaï, les lettres de Nissim, la soif de réussite pendant ces Trente Glorieuses à l’héritage mortifère.
Thésée doit « nettoyer les eaux noires du temps ». Pour en finir avec le tribut de l’Histoire qui nourrit le Minotaure européen. Pour en finir avec cette cécité volontaire du passé. Afin de se libérer et construire une nouvelle histoire.
Camille de Toledo livre un récit hybride où le mystique côtoie le rationnel ; où la poésie se mêle au roman familial. Des formes diverses qui épousent les méandres de la pensée, le dédale du passé des ancêtres. Et au milieu de tout cela, cette idée issue de l’épigénétique : les corps absorbent les peurs et les tragédies familiales ; les corps ont une mémoire, une intelligence qu’il ne faut pas sous-estimer.
Un récit lyrique, fort, impressionnant de maîtrise.
Camille de Toledo – Thésée, sa vie nouvelle – Verdier – 250p