« Impossible » d’Erri de Luca

« Impossible c’est la définition d’un événement jusqu’au moment où il se produit. Vous aurez beau mettre tous les zéros que vous voulez, la statistique et vous ne pouvez nier les coïncidences. Elles existent en dépit des zéros ».

Un homme âgé part en excursion en montagne. Il talonne un autre homme. Un éboulement. Un corps dans un ravin. L’homme âgé prévient les secours… et se retrouve en garde à vue. L’homme qui est tombé est un ancien camarade de lutte d’une organisation communiste. Pour le magistrat en charge de l’affaire, il ne peut pas y avoir coïncidence. Impossible. C’est un meurtre et l'homme âgé est coupable. C’est dans un huis clos, où le magistrat et l’homme accusé se livrent à des joutes verbales, qu’Erri de Luca nous convie dans son nouveau roman.

Le magistrat veut la vérité mais, que met-on derrière le mot « vérité » quand la vie et nos actes ne peuvent se peindre en blanc ou en noir ? Rien n’est figé dans le marbre même si les lois, la justice sont là pour fixer des limites à ne pas franchir. Mais, à l’Homme, nul n’est impossible.

Un roman qui interroge sur le sens de l’engagement politique et de l’amitié. L’homme accusé est un ancien activiste qui est resté fidèle à ses valeurs, à ses idéaux tout comme l’auteur qui a bien connu ce militantisme politique.

Malgré l’âpreté des interrogatoires, la relation qui se tisse entre les deux hommes évoque celle d’un père avec son fils. L’homme âgé vient d’un monde violent – les années de plomb italiennes – mais où la conscience collective primait pour son organisation. L’homme jeune vient de cet aujourd’hui miné par l’individualisme. Un fossé générationnel. C’est ainsi davantage le procès de deux époques qu’un procès contre un homme. Que recevons-nous en héritage et quel héritage laissons-nous à nos enfants ? Erri de Luca reprend cette filiation que l’on trouvait déjà dans son précédent livre Le tour de l’oie.

Si chacun reste fidèle à ses principes, la rencontre avec l’autre marque et invite à la réflexion. Une réflexion visible dans les lettres que l’homme âgé adresse à son amour qui apportent des respirations poétiques dans le texte, mais aussi dans la prise de parole vers la fin du magistrat.

Comme d’habitude, Erri de Luca parvient à nous immerger dans des réflexions d’une grande pertinence empreints d’une profonde humanité.

Erri de Luca – Impossible – Gallimard – 175p (traduction de Danièle Valin).