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LES LECTURES DU MOUTON
9 février 2020

« Les portes de Thèbes. Eclats de l’année deux mille quinze » de Mathieu Riboulet

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« Il a donc fallu que j’accepte l’ouverture de mon corps. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du temps : tout se ferme (les hommes, les regards, les frontières, les esprits), et plus tout se ferme plus il me faut ouvrir, c’est la réponse, je ne sais rien faire d’autre. Écrire c’est ouvrir, bien sûr, je sais cela, mais il suffit d’écrire fermé pour que l’élan se perde. Et des livres fermés, il s’en publie à la pelle. Il faut donc s’attacher à écrire des livres ouverts pour raconter des histoires ouvertes, aérer les fictions, valser avec les chronologies, dire que les corps, nos corps, sont encore ce qui s’ouvre et le plus et le mieux et le plus aisément, même quand on ne le veut pas ».

Deux ans que Mathieu Riboulet nous a quittés. Avant son décès, il a rédigé un ultime ouvrage où l’horizon de sa mort rejoint les douleurs du monde.

Tout commence par son histoire qui résonne avec l’actualité. Il découvre son cancer au lendemain du 13 novembre 2015 comme son père a appris le sien autour du 11 septembre 2001. La tragédie de l’intime se mêle à celle du collectif. C’est ce constat qui invite Mathieu Riboulet à partir de son malheur pour évoquer celui de nos sociétés. Une volonté d’ouverture qui lui permet de mettre en relation deux thèmes qui lui sont chers, le corps et la dimension politique : « Le corps malade de l’Europe, le corps malade du monde, c’est le mien ».

Un va-et-vient s’opère entre le moment où il écrit (2017) et le moment choisi du récit (2015). Pour donner de la force à ses propos et leur conférer une dimension universelle, politique et poétique, Mathieu Riboulet compare les « villes hantées par des fantômes » avec l’antique Thèbes. La tragédie d’Eschyle, Les Sept contre Thèbes, évoque les menaces extérieures comme celles de l’intérieur. « Les sept marioles de novembre quinze sont mes frères […]. Je l’écris pour redire qu’il n’y a pas de guerre qui ne soit pas civile et que nous finirons massacrés par nos frères ». Comment ne pas y voir la marque du danger qui menace les portes de Thèbes mais aussi le combat fratricide entre Étéocle et Polynice ?

La dimension historique et géopolitique est permanente, entre le récit de sa traversée de la Yougoslavie en 1991, l’évocation du conflit irakien, les événements de 1916, le « poison de la colonisation » et même l’amour pour son amant turc Cihan qui symbolise l’Orient là où il est l’Occident. La fascination des corps et notamment des corps orientaux est omniprésente : « Ô frère humain, que n’ai-je retenu ton père entre mes bras ». 

Mathieu Riboulet fait l’inventaire d’un monde qui se meurt au moment où sa disparition est proche. L’inventaire d’un corps malade qui se sent corps étranger dans cette société qu’il ne reconnaît plus. « C’est que, tout simplement, je ne me résous pas à finir en laideur… ».

Mathieu Riboulet – Les portes de Thèbes. Eclats de l’année deux mille quinze – Verdier – 80p

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