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LES LECTURES DU MOUTON
12 février 2020

« Au rythme de notre colère » de Guy Gunaratne

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« C’est la violence qui a fait cette ville. Ceux qui y vivent depuis toujours grandissent avec elle comme avec un grand frère. En cette ultime journée où la langue des flammes a détruit les dômes et les peintures de notre mosquée, on sait que personne nous sauverait. La fureur était comme une fièvre palpable dans l’air. Un amas pourri de corps battant ensemble au rythme de la douleur et des discours ».

Trois potes des Ends, la cité du nord de Londres, se retrouvent au Square pour jouer au foot. Au lendemain d’un meurtre. Celui de Soldier-boy par un gamin noir. Trois jeunes gens descendants d'immigrés : Selvon est d’origine antillaise, Yusuk d’origine pakistanaise, Ardan d’origine irlandaise. Trois jeunes qui tapent au ballon au cœur d’un Londres qui s’agite, qui bout, qui est prêt à exploser entre les tensions communautaires, le racisme et l’islamophobie galopants. Trois jeunes pris dans un tourbillon qui les dépasse – le tueur avait les mêmes baskets qu’eux, le nouvel imam de Yusuf tente de l’enrôler. Des jeunes qui n’aspirent pourtant qu’à jouer, à coucher avec des filles, à faire du rap à l’image d’Ardan. À vivre en somme.

En 48 heures, Guy Gunaratne déploie cette tragédie moderne en plusieurs actes. Si Londres est le personnage principal, l’auteur livre un roman choral où transpirent les dangers de notre monde, où la jeunesse est prise en étau. Cependant, ce roman montre aussi toute l’ambiguïté des sentiments qui traversent les personnages et par effet miroir notre société.

L’auteur donne aussi la voix à deux autres personnages. Caroline, la mère d’Ardan raconte sa jeunesse dans une famille républicaine irlandaise. Nelson, le père handicapé de Selvon, évoque sa période d’activiste antiracisme après son exil. Ces deux personnages montrent que la vie est une lutte permanente, où il ne faut pas se résigner même s’ils sont aussi les révélateurs d’une société qui les a broyés. Ils sont un peu les coryphées dans cette tragédie.

Ce roman n’aurait pas pu être aussi puissant s’il n’avait pas été servi par une écriture forte. Guy Gunaratne a su donner une voix singulière à chaque personnage. Un parler brut, vrai, argotique. Il joue avec la langue, ses subtilités, ses déformations syntaxiques et grammaticales ; le personnage de Nelson en est un parfait exemple. L’occasion de saluer la traduction de Laurent Trèves qui a su parfaitement transcrire ce style.

Guy Gunaratne – Au rythme de notre colère – Grasset – 370p (traduction de Laurent Trèves)

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