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LES LECTURES DU MOUTON
9 janvier 2020

« Un monde sans rivage » de Hélène Gaudy

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« Leurs corps sont traversés par le paysage, marqués par tout ce qui y traîne, ils s’y fondent, ils s’y perdent, ils se mettent à lui ressembler ».

C’est lors d’une visite d’une exposition au musée Louisiana à Copenhague que le regard d’Hélène Gaudy s’attarde sur un cliché représentant trois explorateurs qui ne sont jamais revenus : Salomon August Andrée, Nils Strindberg et Knut Frænkel. En juillet 1897, ils tentent une expédition vers le pôle nord qui tourne vite au désastre. Leur ballon dirigeable les lâche rapidement entraînant une longue errance sur la banquise où ils mourront en octobre. L’impréparation est manifeste et est responsable de cette catastrophe. Leurs corps ne sont retrouvés que plus de trente années après leur disparition.

L’exposition déclenche l’envie d’écrire sur l’expédition, sur ces hommes. Mais comment faire quand les traces sont peu nombreuses ? Quelques photos de mauvaise qualité, un journal de bord parcellaire, des vêtements. C’est là que le travail du romancier commence. C’est là que la fiction vient donner corps à leur histoire.

À la manière d’une enquête policière, Hélène Gaudy vient traquer le moindre indice pour éclairer son sujet. Elle coupe, recoupe, déconstruit, reconstruit, le récit en formulant des hypothèses. Le but n’est pas de dire la vérité mais de peindre une possibilité voire plusieurs. Les deux propositions de portraits qu’elle fait de Frænkel illustrent parfaitement cette démarche. La fiction vient aussi combler les blancs. Ensuite, elle tisse son récit par couches, par strates, en variant les époques et les angles comme dans un carottage. Hélène Gaudy raconte l’histoire d’amour de Strindberg avec Anna Charlier, met en parallèle l’expédition d’Andrée avec celles d’autres explorateurs comme Amundsen pour le pôle sud, Nansen pour le Groënland, Shackleton, les frères Montgolfier. Tous ces personnages ont en commun avec nos trois disparus une détermination qui tourne à l’obstination insensée, jusqu’au boutiste, nourrie par les rêves, par la soif de découverte, par l’émerveillement des paysages, parfois par les liens financiers avec les « sponsors » qui favorisent l’incurie des expéditions. Et puis, dans le cadre de nos trois explorateurs, il y a vraisemblablement le besoin, la nécessité de ne pas se résigner à l’inéluctable. Le journal de bord d’Andrée ne montre pas tellement la peur, l’angoisse d’une mort proche et certaine, ce qui peut étonner.

Un récit passionnant par sa démarche, sa structure et son écriture très visuelle – liée sans doute à sa formation de plasticienne. Un roman qui montre avec intelligence les relations particulières que les Hommes entretiennent avec leurs territoires et leurs rêves de conquêtes.

Hélène Gaudy – Un monde sans rivage – Actes Sud – 310p

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