« La forêt touffue, compacte, vous cachera et vous engloutira comme le silence profond engloutit un mauvais souvenir. Tu te diras qu’en fin de compte, c’est cela la métaphore parfaite de toute forêt : une représentation de l’intimité, du recueillement et de la dissimulation de soi. Une projection élégiaque. Le contraire de la haute montagne qui est la métaphore parfaite de l’ouverture à l’autre, de la projection de soi. Une tension vers l’infini ».
Ce court roman me fascine et m’émeut par sa capacité à être à la fois sobre, épuré mais aussi fort, percutant. La plume de Matteo Righetto, délicate, pudique, est là, comme un écrin, pour cette histoire entre un homme et une femme. Entre un passé qui ne passe pas et un présent bien lourd à porter.
Francesca et Luigi ont vécu une belle histoire d’amour pendant de longues années. Et puis, comme cela arrive à tant d’amoureux, la vie a fini par les séparer. Chacun s’est remis en couple mais un lien fort, éternel les unit toujours. C’est ce lien qui les conduit, sept ans après leur rupture, à faire l’ascension du mont Latemar dans les Dolomites. Ce n’est pas une envie mais une nécessité, une évidence pour eux. Ils le doivent.
Nous suivons les anciens amants dans leur excursion, dans un récit au futur où viennent s’intercaler des flash-backs au passé de leur vie d’avant. Nous découvrons progressivement la raison qui les pousse à faire ce pèlerinage. C’est une fois que le lecteur découvre le point de bascule que le texte passe au présent comme pour l’ancrer définitivement.
Cette plongée dans la nature, dans la forêt luxuriante, dans la montagne abrupte, avec leurs odeurs, leurs couleurs et leur silence, permet à Francesca et Luigi d’exorciser leur douleur, leur solitude, leur manque. Ils communient dans l’effort à la fois par le corps et l’esprit et nous, lecteurs, les suivons dans leur ascension en ressentant leurs difficultés, leur émerveillement, leurs aveux, comme si nous étions des compagnons de route.
Ce roman est un bijou à la fois brut et ciselé, d’intelligence émotionnelle rare. Quand tout vacille, quand tout concourt à la solitude, à la séparation, il est des forces qui nous poussent à nous ouvrir, à tendre la main, à prendre conscience que les êtres qui ont compté dans notre vie restent là, bien présents.
Matteo Righetto – Ouvre les yeux – Points – 140p (traduit par Anne-Laure Gonin-Marquer).