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LES LECTURES DU MOUTON
3 mars 2019

« Frère d’âme » de David Diop

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« La France du capitaine a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange. Elle a besoin que nous soyons sauvages parce que les ennemis ont peur de nos coupe-coupe. Je sais, j’ai compris, ce n’est pas plus compliqué que ça. La France du capitaine a besoin de notre sauvagerie et comme nous sommes obéissants, moi et les autres, nous jouons les sauvages. Nous tranchons les chairs ennemies, nous estropions, nous décapitons, nous éventrons. La seule différence entre mes camarades les Toucouleurs et les Sérères, les Bambaras et les Malinkés, les Soussous, les Haoussas, les Mossis, les Markas, les Soninkés, les Senoufos, les Bobos et les autres Wolofs, la seule différence entre eux et moi, c’est que je suis devenu sauvage par réflexion ».

Ouvrir un roman, lire un poème.

C’est en substance l’impression que j’ai eue en terminant cet ouvrage. Avant même l’histoire, c’est l’écriture qui m’a emportée. Loin, très loin. Je ne m’y attendais pas. Ces phrases, simples au demeurant, sont clamées avec puissance et beauté. La répétition de certains mots, de certaines expressions, donne à ce roman sur les tirailleurs sénégalais un caractère incantatoire. L’écriture reflète les tourments intérieurs d’Alfa Ndiaye qui n’a pas eu la force d’abréger les souffrances de son plus que frère Mademba Diop et ce malgré ses supplications. La folie comme une colère s’empare de lui, la violence aussi. Une violence choisie, du moins le croit-il. Les mains coupées des ennemis en trophées illusoires. Un retour à l’arrière en HP. Et cette idée lancinante que jamais la guerre, la mort, la perte ne peuvent vous oublier, vous laisser tranquille.

Avec Frère d’âme, nous découvrons un auteur qui sait manier parfaitement, subtilement la langue pour poser des mots sur ces hommes que l’Histoire a trop longtemps relégué au second plan. L’influence évidente des poètes de la négritude, Aimé Césaire, Léopold Sendar Senghor… 

Un sorcier-poète qui a été récompensé à juste titre par le Goncourt des lycéens.

David Diop – Frère d’âme – Seuil – 175p

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