« Réelle » de Guillaume Sire

« Et tu crois que la prochaine étape, c’est quoi? Le mariage? Un jour il te fera mal. Les bourges, à un certain stade, il n’y a que ça qui les excite : la douleur. Pour eux, il s’agit d’une vérification ».

Existe-t-il plus belle autofiction que la participation à un jeu de téléréalité ? Quand la TV joue avec les codes habituels de la littérature, ça va loin mais ça fait plus mal aussi.

Nous sommes dans les années 90. Johanna est une adolescente d’un milieu modeste. Elle va au collège, sort avec sa copine Jennifer, danse. Une adolescente presque normale si ce n’est qu’on lui porte un regard différent des autres filles. D’abord parce qu’elle a rapidement de la poitrine puis parce qu’elle fait tout pour être regardée, aimée et bien souvent à ses dépens : les garçons profitent d’elle. Le grand passe-temps de la famille, c’est la télévision. L’écran, ce miroir aux alouettes, donne des envies de gloire. Johanna se rêve chanteuse comme ces filles qu’elle voit dans les émissions. Sa famille l’encourage. Elle tente le casting de Graines de stars sans succès. Il faut se rendre à l’évidence, la réussite n’est pas au rendez-vous pour les jeunes filles rêveuses nées du mauvais côté de la barrière. Les années passent. Sa copine Jennifer et Johanna finissent par se résigner à un destin banal. Jusqu’au jour où une société de production appelle Johanna pour participer au Loft. Le concept est unique pour l’époque : « La source de la célébrité, dans notre monde, est la célébrité elle-même ». On lui demande juste d’être elle-même mais comment l’être quand des millions de personnes – dont votre entourage – vous regardent ? Comment vit-on l’après, quand les regards se détournent et que l’on cherche à tout prix à rester dans ce milieu des paillettes et de la gloire éphémère ?

Guillaume Sire livre un roman d’une grande clairvoyante et justesse. Le sujet aurait pu être traité de manière catastrophique : misérabilisme, voyeurisme, surenchère voire leçon de morale. Rien de toute cela. L’auteur « se contente » de décrire les faits, les ressentis. Il ne juge pas, il ne provoque pas, il raconte simplement. Et c’est là toute la différence. Il n’a en effet nul besoin de faire un procès de la téléréalité, de l’émergence des émissions abrutissantes « hanounesques », le lecteur est assez malin pour voir ce qu’il faut, pour en tirer les leçons.  Un sujet traité avec intelligence et efficacité jusqu’à la fin, que demander de plus ?

Guillaume Sire – Réelle – Editions de l’Observatoire – 305p

Comments

[AuFildesPlumes]

Un roman dans l'air du temps.