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LES LECTURES DU MOUTON
16 janvier 2019

« Salutations révolutionnaires » de Sophie Bonnet

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« Jusqu’où peut-on aller pour faire parler les gens ? Il est un peu tard pour se poser la question. Je voulais voir de près le mal absolu. Je l’ai vu et il n’y a pas grand enseignement à en tirer. Je le juge bien sûr. Je le connais désormais et je le juge. Et après ? C’est une ordure, mais je persiste à rire de ses blagues, je continue de partager des cafés. Mes espérances de justicière se sont avérées vaines et présomptueuses. J’ai obtenu des flots de parole. Et c’est tout. On l’a puni en espérant qu’il s’en trouverait mortifié. Mais il ricane en haussant les épaules ».

Mai 2013, Ilich Ramínez Sánchez, dit Carlos, est en France pour être jugé pour ses attentats commis en France. Sophie Bonnet sent qu’il y a quelque chose à faire de sa détention à Poissy, sans trop savoir véritablement ce qu’elle peut en tirer. Elle fait une demande de parloir qu’elle obtient un an plus tard, en mai 2014. Pendant quatre ans, elle se rend un samedi par mois en prison pour cinq heures de parloir avec le terroriste.

Nous faisons connaissance avec un homme au charisme étonnant malgré son âge, ses soucis de poids et de santé. Il continue à jouer le dandy, impeccablement habillé. Il parle avec tous les détenus sans distinction, du petit caïd de la cité au terroriste islamiste. Il se comporte comme la personnalité la plus importante de la Centrale. Mais, il se livre peu, use de pirouettes et détours. En revanche, Sophie Bonnet donne beaucoup de sa personne, finit même par lui montrer des photos de ses enfants. Il la manipule. Elle en a conscience mais laisse faire tout en essayant de fixer des barrières qui parfois tombent. Les aveux se font au compte-goutte, au fil des mois, surtout parce que Carlos est flatté qu’on s’intéresse à lui pour un livre et un film documentaire. Nous découvrons un homme raciste, antisémite, qui n’a aucun remords, qui a été à la solde des tyrans. Il se voit toujours en héros, se comporte comme tel et quand il a échoué, pour lui, c’était à cause des autres. La victimisation est permanente. Cependant, il ne se rend pas compte que beaucoup de gens ne savent plus qui il est. Le héros a perdu de sa « superbe », est presque devenu un anonyme dans un monde qui a tellement changé en vingt/trente ans. C’est d’ailleurs là le problème, pour les victimes. Elles attendent la justice mais sont tombées dans l’oubli elles-aussi.

Progressivement, Sophie Bonnet s’aperçoit de la difficulté à connaître un homme sans tisser des liens. Elle sait que Carlos a commis des crimes abjects mais elle découvre aussi sa part d’homme, d’être déchu qui attend ses parloirs avec impatience parce qu’il est seul. Il est parfois difficile d’avouer que l’on n’est pas forcément en face d’un monstre mais d’un homme. C’est cette part d’humanité qui est visible aussi quand la journaliste évoque toutes ces femmes qui viennent voir leurs hommes au parloir. Qu’est-ce qui peut pousser ses femmes à continuer de venir, à continuer à s’occuper de leur linge, à fermer les yeux sur des infidélités, à faire faire abstraction de leur folie meurtrière ? Sophie Bonnet se garde bien de les juger. Comme Atlas, elles portent le système carcéral sur leurs frêles épaules. Sans elles, tout sauterait. Le personnel pénitentiaire joue aussi un rôle ambigu, souvent nécessaire, pour que l’horreur n’advienne pas dans les geôles.

Un livre intéressant qui décortique bien les mécanismes d’un homme qui n’a vécu que pour satisfaire sa soif de violence. Il montre aussi la difficulté, les pièges d’un journalisme d’investigation. Comment ressortir indemne d’une telle expérience ?

Sophie Bonnet – Salutations révolutionnaires – Grasset – 315p

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