« Il est grand temps de rallumer les étoiles » de Virginie Grimaldi
« Les parents sont des funambules. On marche sur un fil tendu entre le trop et le pas assez, un colis fragile entre les mains.
Il faut être attentif, mais ne pas laisser croire à notre enfant qu'il est le centre du monde ; il faut lui faire plaisir sans qu'il devienne blasé ; il faut équilibrer son alimentation sans le priver ; il faut lui donner confiance, mais qu'il reste humble ; il faut lui apprendre à être gentil, mais à ne pas se laisser faire ; il faut lui expliquer les choses, mais pas se justifier ; il faut qu'il se dépense et qu'il se repose ; il faut qu'il apprenne à aimer les animaux, mais à s'en méfier ; il faut jouer avec lui et le laisser s'ennuyer ; il faut lui apprendre l'autonomie tout en étant présent ; il faut être tolérant mais pas laxiste ; il faut être ferme mais pas rude ; il faut lui demander son avis, mais pas le laisser décider de tout ; il faut lui dire la vérité sans atteindre son innocence ; il faut l'aimer sans l'étouffer ; il faut le protéger, mais pas l'enfermer ; il faut lui tenir la main tout en le laissant s'éloigner ».
Qu’est-ce qu’une femme aujourd’hui ? La question a son importance car elle est d’une actualité brûlante. Alors, c’est quoi être une femme ? Est-ce être libre de ses choix ? Est-ce réussir à s’accepter telle qu’on est ? Est-ce se respecter soi-même en se faisant respecter par les autres ?
On épilogue beaucoup sur la condition féminine et le droit des femmes à être libres, à ne pas être entravées par les autres notamment les hommes. Nous n’avons pas à être sifflées, nous n’avons pas à être insultées, nous n’avons pas à être touchées, nous n’avons pas à être violées ou battues. Mais, est-ce suffisant ? Si on regarde par le petit trou de la serrure, dans le quotidien le plus banal, être une femme c’est faire face seule à des difficultés, c’est être parfois aussi en dualité avec soi-même.
Anna a 37 ans. Sa vie, elle la passe au travail au point qu’elle ne voit pratiquement plus ses filles. Elle n’a plus le temps de rien, ni pour ses filles, ni pour elle. Elle s’est dissout dans un quotidien difficile où tout repose sur ses épaules ; la fameuse charge mentale. Pour couronner le tout, elle est endettée jusqu’au cou et l’huissier la relance sans cesse. Comment retrouver sa place de femme et de maman dans ce marasme ?
Chloé, sa fille de 17 ans, fait l’apprentissage de l’amour. Elle s’imagine qu’être une femme amoureuse, c’est se plier aux exigences d’un homme. Elle couche avec plusieurs garçons et s’étonnent qu’ils l’abandonnent ou la contactent uniquement pour des « plans cul ». Cette génération qui vit dans l’air des réseaux sociaux, de l’accès à la pornographie, s’imagine une façon d’aimer qui n’est respectueuse ni pour les autres ni pour soi-même.
Lily, la petite sœur de 12 ans, au sens de l’humour ravageur, est une solitaire. Elle ne fait pas confiance à grand monde. Hormis son amour pour sa mère et sa sœur, elle ne se sent bien qu’avec des animaux (notamment son rat). Il faut dire que sa vie au collège ne l’incite pas à aimer les gens. Elle ne supporte pas l’injustice mais accepte les railleries à son égard. Là encore, on pointe la difficulté pour une fille de se situer même quand elle n’est encore qu’une enfant.
À force de tout cumuler et de tout intérioriser, la coupe est pleine et l’envie de tout balancer se fait sentir. À la suite de son licenciement et de son indemnisation, Anna prend la décision de tout plaquer pour plusieurs semaines et d’emmener ses filles en Scandinavie à bord du camping-car de son père. Les trois jeunes femmes vont enfin prendre le temps d’être, de se redécouvrir entre elles mais aussi elles-mêmes. C’est le moment de faire de nouvelles rencontres, de rallumer les étoiles dans leurs yeux et leurs cœurs. Pourtant, là encore, elles vont devoir se battre pour jouir de ce droit. Mais, cette fois-ci, elles ne voudront rien laisser passer.
Loin d’être un « simple » feel-good que certains qualifient avec une pointe d’ironie ou de mépris, ce quatrième opus de Virginie Grimaldi, tout en reprenant les codes de la comédie, s’offre le luxe d’être un très beau plaidoyer pour les femmes. Chacun des personnages lutte contre un ou des préjugés, contre une ou plusieurs violences et pourtant que d’amour elles ont dans leurs cœurs et quelle force ! Elles sont toutes attachantes et, en tant que femme, je me suis reconnue dans les trois. Je me suis reconnue dans Anna qui cherche à concilier travail, vie de maman et, pour ma part, la passion pour la littérature. Comme Chloé j’ai longtemps cru qu’il fallait tout donner pour avoir de l’affection jusqu’au jour où j’ai rencontré mon mari et qu’il m’a dit que je n’avais pas besoin de faire tout ça pour qu’il m’aime. Je me suis revue dans Lily quand j’ai vécu deux années de collège où j’étais rejetée par mes camarades pour je ne sais quelle raison. Tout sonne juste parce que leurs situations existent, sont tangibles. Elles ne sortent pas d’un carton de chapeau même si Virginie Grimaldi enrobe le tout d’humour, de folie, de tendresse aussi. Il faut être fort pour être une femme mais ça vaut la peine de se battre, tel est le message que je retiens en fermant ce roman.
Si j’axe ma chronique sur la condition des femmes, notons tout de même que Virginie Grimaldi nous offre aussi de beaux personnages secondaires qui, pour certains, sont loin d’être des inconnus comme Marine et Greg de Tu comprendras quand tu seras plus grande. Les situations cocasses et les formules qui font sourire restent la marque de fabrique de Virginie et c’est aussi pour cela qu’on l’aime. Le rythme est effréné : pas de temps mort. J’ai freiné volontairement ma lecture pour ne pas tout dévorer d’un coup tellement on est plongé dans le récit. Une fois de plus je n’ai pas été déçue par ce nouveau roman de Virginie Grimaldi. J’aime ce rendez-vous printanier avec elle et j’ai envie de vous y inviter.
Virginie Grimaldi – Il est grand temps de rallumer les étoiles – Fayard – 400p
Du même auteur :
" Il y a dix ans, nous avions moins de rides, pas d'enfant, plus de légèreté. Nous avions la tête pleine de projets et l'attitude pleine de certitudes. Les projets ont été réalisés, les certitudes ont vacillé. On devrait nous prévenir que devenir adulte donne la gueule de bois ".
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" Ils ont été jeunes eux aussi. Ils ont eu mon âge. Ils ont eu des projets, des fous rires, des galères, ils ont fait l'amour, ils ont eu des parents, des amis, des bébés. Ils ont eu une vie. Il y a cinquante ans, eux non plus ne pensaient pas être vieux un jour.
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" Parce que la vie, c'est comme un tour de magie. Quand on est enfant, on ne voit que le devant de la scène. C'est fabuleux, on s'émerveille, on se pose des questions, on a envie d'en savoir plus. Et puis, on grandit. Peu à peu les coulisses se dévoilent, on réalise que c'est compliqué.
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