« Les villes de papier. Une vie d’Emily Dickinson » de Dominique Fortier
« Le monde. Le monde est petit comme une orange. Il est incroyablement compliqué et d’une absolue simplicité. Le monde peut être remplacé, recréé, anéanti par les mots. Il existe de l’autre côté de la fenêtre, ce qui est une autre façon de dire qu’il n’existe pas […] Le monde est noir et la chambre est blanche. Ce sont les poèmes qui l’éclairent ».
Comment peut-on faire la biographie d’une poétesse dont la vie a été si discrète, si mystérieuse ? Elle était comme une page blanche. Peut-être en s’attardant sur ce qui a contribué à son écriture : la maison familiale d’Amherst dans le Massachusetts. Et peut-être aussi en montrant ce que la vision du monde d’Emily a provoqué chez Dominique Fortier.
La vie d’Emily Dickinson est une vie qui a toujours tourné autour des lieux qu’elle affectionnait, des gens qu’elle fréquentait. C’est en eux qu’elle a puisé l’envie de griffonner sur des morceaux de papier ses premiers vers. Des poèmes courts, légers, délicats, qu’elle aimait appeler des « flocons » avec cette idée de fragilité et d’éphémère. Une poésie qu’elle n’a jamais souhaité publier – rares sont les poèmes qui l’ont été de son vivant.
Si la famille, le voisinage, Dieu et la mort ont contribué à construire son univers poétique, sa maison familiale, qu’elle n’a jamais quittée adulte, est la clé de voûte de son œuvre. C’est avec un effet miroir que Dominique Fortier évoque la façon dont on habite les lieux, dont on les imagine et surtout la façon dont ceux-ci nous façonnent. La vie de recluse d’Emily à Homestead vient se frotter aux déménagements que Dominique Fortier a fait en Nouvelle-Angleterre, à Boston, quittant ainsi le Canada et Montréal.
L’écriture est ainsi contaminée par les lieux qui nous hantent, nous peuplent. Emily Dickinson écrivait en regardant par la fenêtre son jardin – l’herbe, les fleurs, les abeilles, les oiseaux. Dominique Fortier, elle, regarde le jardin des mots d’Emily à travers les fenêtres de sa poésie. Elle montre aussi comment l’esprit, l’imagination sont des lieux suffisamment riches pour vivre une vie au travers d'eux. Nul besoin de jardin, de maison, de mouvements pour ériger sa propre ville de papier.
Un éloge raffiné, poétique, sensible du mystère, de l’univers intérieur dans un monde où tout n’est peut-être que consommation et représentation.
Dominique Fortier – Les villes de papier. Une vie d’Emily Dickinson – Grasset – 205p