« Trencadis » de Caroline Deyns
« … les couleurs sont en réalité des tristesses noires qui se griment en Arlequin pour s’assurer qu’on ne les reconnaisse pas : un désespoir qui voudrait passer incognito ».
Trencadis. Mot catalan qui désigne une mosaïque d’éclats de céramique et de verre. Une technique utilisée notamment par Gaudí.
Trencadis. Une définition de l’œuvre de Niki de Saint Phalle. Une définition également de sa vie, ce « cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction ». Parce que derrière l’œuvre, les frasques, l’audace et les revendications féministes, il y a une femme à multiples facettes.
La Niki fragile, brisée par l’inceste, internée, coincée dans un mariage et une maternité qui ne lui conviennent pas avant de trouver sa voie dans la création.
La Niki créatrice devient une femme libre. Une artiste avant-gardiste. Une artiste qui n’aura de cesse d’utiliser sa vie comme matériau. Une artiste qui a aussi joué le collectif en travaillant notamment avec Jean Tinguely avec qui elle a vécu un amour aussi tumultueux que fécond. Une artiste qui avait une vision décomplexée de l’art et non élitiste.
Mais, cette liberté a forcément eu un coût qu’il a été difficile de payer. Parce qu’une femme n’est jamais totalement libre.
Pour faire la biographie romancée de cette femme si complexe, Caroline Deyns a, elle aussi, éclaté les codes du roman pour en faire une œuvre plastique monumentale et très réussie. Une organisation et une typographie changeantes épousent les œuvres de Niki : des textes sous forme de cibles pour illustrer ses Tirs, sous forme d’arcanes de tarot pour son jardin toscan où se dévoilent des pans de la vie de l’artiste.
Et, surtout, l’autrice a morcelé complètement la narration. Nous avons à la fois les pensées de Niki, des citations, des « témoignages » souvent drôles à la manière d’un documentaire. Les points de vue sont multiples pour mettre à jour les différents « morceaux » de la personnalité de l’artiste. L’écriture est vive, le ton libre. Nous avons une biographie incarnée, sublime qui rend un très bel hommage à cette femme si fascinante qu’était Niki de Saint Phalle.
Caroline Deyns – Trencadis – Quidam éditeur – 355p