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LES LECTURES DU MOUTON
10 mars 2019

« Maritima » de Sigolène Vinson

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Je suis un vaste plan d’eau de 20 km de long et je pèse 980 millions de m3. Je suis né d’une remontée des eaux datant de la dernière glaciation. Je suis célèbre depuis l’Antiquité, depuis que Pline l’Ancien m’a inscrit dans le livre III de ses Histoires naturelles. Je suis le stagnum Mastromela où se situait une ville gallo-romaine : Maritima Avaticorum.

Oh je vous rassure, je ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, je me connais grâce à Wikipedia. Je n’ai aucune notion de ce que je suis, hormis d’être un lieu naturel qui a coulé des jours plutôt paisibles jusqu’à ce que les Hommes me transforment.

Depuis le XXe siècle, je suis aménagée, défigurée. Les colonnes des raffineries se sont élevées, une centrale EDF s’est installée. J’ai perdu peu à peu de ma superbe. Ma salinité décroît, la faune et la flore se dégradent. Je suis pas loin d’être une mer morte.

Quelques irréductibles gaulois croient encore en moi. Ils pêchent les muges. Je vois faire Joseph et Émile. Malgré leur grand âge, ils continuent de tendre leurs filets sur le chenal. Jessica les aide en traquant les déplacements des bancs du haut de son immeuble. Je vois la vie qu’ils mènent, leurs galères. Je vois aussi les enfants. Antoine l’adolescent à l’intelligence remarquable, Dylan qui aime jouer et rire et puis le petit Sébastien qui n’arrive pas à obtenir l’amour de Jessica, sa mère. Ils ont tous leurs particularités mais je les ai ancrés dans mon cœur. Je les aime pour leurs qualités mais surtout pour leurs défauts. Je les aime parce qu’ils sont terriblement humains, avec leurs failles. Et je m’y connais en failles humaines ! Certains rêvent d’un ailleurs comme Antoine ou Jessica. Comment leur en vouloir de tenter de me quitter ? La vie ici est morne, semble sans issue. Je suis devenu un poison qui s’infiltre dans les chairs. Je suis le réceptacle des tragédies. Un grand drame survient un jour qui transforme la vie de certains d’entre eux, peut-être même de tous… J’assiste impuissant aux conséquences.

Par chance, une femme vient à leur secours, vient les guider dans les chemins tortueux de la vie. Peut-être parce qu’elle connaît bien les drames sociaux, individuels, collectifs. Elle est bienveillante avec eux. Je crois qu’elle les aime beaucoup et, comme moi, elle n’arrive pas à se détacher d’eux. Je sens aussi qu’elle m’aime et j’en rougis presque. Quelle beauté peut-elle bien trouver chez moi ? Pourtant, je dois me rendre à l’évidence, c’est une histoire d’amour. Elle a l’art de me mettre en valeur là où tout le monde verrait de la laideur. J’ai une odeur, j’ai un visage, j'ai un corps, j’ai une chaleur. Tous mes sens sont en éveil. Elle me donne voix au chapitre. Elle a fait de moi un livre merveilleux. Je ne pouvais rêver mieux. J’espère que les lecteurs seront conquis. Je sais qu’une petite brune à lunettes l’est déjà. Peut-être même qu’elle se cache un peu derrière moi.

Sigolène Vinson – Maritima – éditions de l’Observatoire – 300p

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