« Deux heures » de Sylvia Rozelier
« Tu ne t’es jamais sentie comme elles, les autres femmes, les autres mères qui parlent de leur amour. Cette chose qu’elles mettent en mots et qui te laisse toujours comme une impression confuse de malaise, d’imposture. Sentiment qu’accompagnent tant de superlatifs et qui t’a toujours paru polymorphe et évolutif, avant tout personnel. Une découverte de chaque instant, rien moins qu’une évidence donnée pure et belle.
Lorsqu’elles en parlent les femmes, les mères, tu te sens exclue de cette poussée de sève, de vie, d’hormones ? Car elles ne se lassent pas, le sujet inépuisable, elles décrivent comme elles aiment, en blanc en rose à paillettes, en chaud en froid, en ondes serrées diffractées. C’est donc cela le sentiment maternel, conjuration ou vérité gravée dans le marbre ? »
Que valent deux heures dans une vie ? Rien et tout à la fois.
8h44. Le téléphone sonne dans l’appartement. La jeune femme peine à se réveiller. Elle se pelotonne auprès de l’homme qui partage son lit. Mais le téléphone persiste. Elle finit par se lever, par décrocher. C’est sa mère. À quelle heure la petite doit rentrer de son voyage en Egypte avec son père ? L’angoisse monte. Une catastrophe aérienne. Aucun survivant. Sa fille est-elle dans l’avion ?
Pendant deux heures, minute par minute, nous suivons cette mère aux prises avec l’angoisse, avec l’idée de la perte de son enfant. Comment peut-on réagir face à un tel événement ? Nous la suivons dans son déni, dans sa volonté de ne pas prendre de nouvelles comme pour garder son enfant vivante encore avec elle. Nous la voyons silencieuse, hurlante, impatiente, impuissante. Elle se remémore les instants avec elle, avec le père. Vient le temps des regrets, des remords. Et si j’avais fait ceci et si je n’avais pas permis cela ? Elle tente de refaire l’histoire parce qu’elle ne peut pas répondre à cette question horrible : comment fait-on pour vivre sans son enfant ?
Sylvia Rozelier nous embarque dans une histoire qui prend aux tripes. Nous traversons toute une palette de sentiments, d’émotions avec son personnage. Nous accusons le coup, nous tentons de nous mettre à la place de cette femme alors que nous ne pouvons même pas le concevoir. Parce que c’est évident, ça n’arrive qu’aux autres, ça ne peut pas être pour soi… La langue est vive, elle martèle la tête, accentuée par l’utilisation de la deuxième personne du singulier. L’auteure parvient sans peine à nous immerger dans ce chaos.
Deux heures de lecture, deux heures d’une vie où tout bascule, où tout change. Ce temps qui habituellement nous coule entre les doigts sans qu’on y prête trop attention. Un seul et même lieu : l’appartement. Unité d’action, unité de temps, unité de lieu. Nous sommes au théâtre de la vie, dans une sorte de tragédie grecque renforcée par un prologue, une didascalie initiale. Et nous attendons, attendons que le rideau tombe comme un couperet, avec effroi.
Si vous avez été bouleversé par son roman Douce, Deux heures ne peut que vous parler. Si vous ne connaissez pas encore Sylvie Rozelier, qu’est-ce que vous attendez ???!!!
Sylvia Rozelier – Deux heures – Le passage – 116p