« Ásta » de Jón Kalman Stefánsson
« Qu'importe la marche du monde, qu'importent les catastrophes qui le frappent, les tempêtes, les crises économiques, les attentats, les populismes, les discours de haine, les pluies d'astéroïdes, mon amour t'est acquis. Il est inébranlable et ne s'éteindra qu'avec la mort. Et sache aussi que si la mort n'est pas la fin de tout, même morte, je t'aimerai encore. C'est intact que mon amour traversera la vie et la mort puis il rejoindra ces immensités dont nous ignorons la nature ».
Lire Ásta, c’est faire une expérience de lecture inédite pour ma part. Quand j’ai ouvert ce livre, je suis entrée dans une atmosphère, un univers incroyable et surtout je me suis plongée dans un récit d’une grande profondeur et poésie.
Si l’auteur ne s’attarde pas tout le temps à décrire cette île si mystérieuse pour nous, empreinte d’un mélange de fascination et de magie, il parvient à nous donner un pouls, un cadre, des paysages. J’ai vraiment eu l’impression d’être là avec ces personnages, dans ce milieu froid, rugueux. On sent que l’auteur aime profondément son pays, ses contours, son corps si je puis dire. Pour autant, loin d’une image de carte postale, il a une vision plutôt aiguisée des Hommes qui vivent sur cette terre, de la société islandaise passée et présente.
J’ai aimé suivre cette histoire familiale sur plusieurs décennies et notamment le parcours de cette fameuse Ásta, seconde fille de Sigvaldi et Helga, à travers différents points de vue : celui du père, celui de la fille et celui du narrateur. Le romanesque vient de l’évocation de vies presque ordinaires dans leurs passions, leurs amours, leurs préoccupations ou doutes mais le tout avec une force et une beauté à couper le souffle. C’est comme si nous découvrions ces sentiments pour la première fois. Bien évidemment, la vieillesse et la mort ont toute leur place aussi dans ce récit.
Alors oui il faut avouer que la construction du roman n’est pas simple – les changements dans la narration peuvent perturber – mais ils ajoutent du lyrisme, ils apportent un ton, une musique au texte (notons d’ailleurs une belle « playlist » dans le roman). Comme en peinture où l’artiste vient apporter différentes couches pour donner du relief à son tableau, Jón Kalman Stefánsson donne de l’épaisseur à son récit par cette construction en morceaux. Nous sommes finalement plus dans du cubisme littéraire que dans de l’impressionnisme – si j’ose la métaphore artistique – où chaque facette des personnages est dévoilée par étape. Le lecteur devient acteur du roman en emboîtant chacun des morceaux du puzzle : il a fait un grand effort mais il en est récompensé. Je n’aime pas généralement faire des comparaisons car elles sont souvent hasardeuses mais tant pis, j’ose : la dernière fois que j’ai eu une telle intensité de lecture, mêlant beauté et puissance romanesque, c’était avec Les hauts de Hurle-Vent d’Emily Brontë. J’en profite pour saluer le travail formidable de traduction d’Éric Boury : le chantier a dû être colossal pour en arriver à une telle finesse. Nous ne saluons pas assez les traducteurs qui sont de grands transmetteurs de savoirs et d’histoires.
Une magnifique fresque, une belle expérience, que je vous invite fortement à découvrir.
Jón Kalman Stefánsson – Ásta – Grasset – 500p