« Une verrière sous le ciel » de Lenka Horňáková-Civade
« Dans les contes de mon pays il y a souvent trois fées qui se penchent sur le berceau du bébé pour lui prédire son destin, lui prodiguent des talents, lui souhaitent une vie de telle ou telle couleur, sous de bons auspices ou au contraire pleine d’embûches. À quoi cela tient-il ? À leur bonne humeur ? Elles-mêmes, disposent-elles d’un contingent d’offrandes décidées au préalable et qu’elles ont pour mission de distribuer ? Contingent fixé par qui ? Si les parents préparent un goûter généreux, peut-être seront-elles plus indulgentes avec le nouveau-né ? Dans les fables, pour corser l’affaire, deux fées sont gentilles, généreuses, la dernière est méchante. Le destin est dit. Mais est-ce qu’il doit nécessairement s’accomplir ? Une phrase, souvent sibylline, peut-elle résumer la vie à venir ? Il faut une phrase bien tournée, que l’on peut prendre pour une prophétie. La phrase bien faite dans laquelle rentre le monde entier, c’est primordial. Et libérateur. Une telle phrase et toute interprétation devient possible. La vie devient possible ».
Il était une fois une jeune fille de dix-huit ans qui dit non. Un non, aussi franc et déterminé que surprenant pour elle-même, retentit à la gare de l’Est. Non, elle ne repartira pas en Tchécoslovaquie. Oui, elle dit adieu à ses parents et à la dictature soviétique. Oui, Ana goûtera à la liberté et au bonheur. D’ailleurs, le bonheur, n’est-ce pas ce que lui promet une drôle de femme, mi-fée mi-sorcière ? Elle s’appelle Grofka, elle la rencontre au cimetière du père Lachaise et elle lui dit de garder le silence pour accéder à la félicité. Ana obéit et se retrouve hébergée dans un café tenu par Bernard. Elle y fait la rencontre d’habitués, aux « âmes cabossées » qui forment finalement une famille de substitution. Trois d’entre eux sont même les « fées barbues » de la jeune femme. Et puis, il y a Albert, le peintre-sculpteur qui la prend pour modèle chez lui, à la lumière de sa verrière sous le ciel…
Lenka Horňáková-Civade nous avait brossé de bien beaux portraits de femmes dans son premier roman Giboulées de soleil. Dans ce nouveau roman, elle nous peint une bien jolie jeune femme qui aspire à la liberté. L’art a d’ailleurs une place importante dans le récit au sens propre comme figuré. La jeune Ana est modèle pour l’artiste Albert mais, au fil de ses rencontres et de sa vie à Paris, elle se découvre, se révèle. Elle se sculpte physiquement et psychologiquement en une femme forte, indépendante, éprise d’un nouveau souffle après des années de corsetage dans cette Tchécoslovaquie qui connaît ses dernières heures sous le joug soviétique. Mais, se (re)construire n’est pas forcément simple quand on est si loin de ses repères. D’ailleurs, que reste-il de ces repères quand le monde qu’on a toujours connu s’effondre un 9 novembre 1989 ?
Ce second livre de Lenka est un magnifique roman d’apprentissage sous des allures de conte, genre dont elle rend un hommage appuyé dans son autoportrait en fin d’ouvrage. Il montre bien la difficulté des choix pendant une période charnière de l’histoire européenne : la chute du communisme. Il a pourtant un écho dans notre actualité brûlante avec le sort des migrants en Méditerranée aspirant eux-aussi à la liberté et au bonheur. Enfin, j’ai beaucoup aimé la façon dont Lenka a utilisé les fleurs dans son roman. Leur symbolique, leur langage permettent de mettre des mots là où les bouches se taisent. Il est un moyen aussi de faire le lien entre les gens, entre les cultures, entre le passé et le présent.
Lenka Horňáková-Civade – Une verrière sous le ciel – Alma éditeur – 260p