« Repose-toi sur moi » de Serge Joncour
Coup de cœur – Rentrée littéraire 2016
« Elle se retourna pour voir s’il la regardait partir, il était déjà rentré, elle pensa à ces matchs que Richard et les enfants regardaient à la télé, des hommes qui se disputent une balle sous la pluie, des immatures massifs et jambes nues qui chahutent dans la boue. Et ce K-Way noir, cet homme se trimbalait sous l’eau avec un arc-en-ciel sur le torse, jambes et tête nues. Elle se dit que ce type semblait s’affranchir de tout, de la pluie, du froid, de tout ce monde, un être libre peut-être, ou parfaitement égoïste. Autour d’elle, ils marchaient tous tête basse dans le froid humide, au fond de leurs vêtements cachés sous de grands parapluies, alors que lui il avait juste besoin d’un short et d’un K-Way. Au milieu de ce ballet de gens pressés qui se croisaient en tous sens, elle eut l’image de tout un tas de choses superflues qui plombaient sa vie, des mesquineries et des menaces qui l’entouraient, l’image de cet homme la fascinait, simplement en rayonnant d’une densité minérale, naturelle, brute. »
Il est des romans qui ont l’apparence de la banalité mais, une fois qu’on plonge dedans, on baigne dans du miel. Repose-toi sur moi est de ces romans : une histoire d’amour qui semble impossible entre deux personnes que tout sépare et qui dans les mains d’un mauvais écrivain peut être une véritable soupe. Pas avec Serge Joncour. Serge Joncour a le talent de nous offrir une histoire qui émeut, qui rend même addict. En parcourant ces 430 pages – avec lenteur pour mieux déguster – je suis passée par toute une palette d’émotions difficile à expliquer, rendant l’écriture de cette chronique compliquée. Je vais essayer malgré tout car même si mes propos seront fades, ce roman mérite vraiment que j’en parle.
Ludovic est un solide gaillard. Enfant de la campagne, il a quitté la vallée du Célé il y a trois ans, après la mort de sa femme Mathilde, pour s’installer seul à Paris. Reconverti dans le recouvrement de dettes, il fait face chaque jour à la misère, à la détresse mais aussi à la violence et la mauvaise foi de l’être humain.
Aurore est styliste et possède sa propre marque de vêtements. Mariée à Richard – homme à la réussite éclatante, mère de deux jeunes enfants, elle appartient au monde huppé parisien.
Ces deux êtres n’ont rien à partager. Leur seul point commun est de vivre dans un même ilot d’immeuble qui possède une partie vétuste, avec encore l’existence de loyers de 1948, et une partie rénovée où vivent des bourgeois ou des touristes.
Un événement, anodin en apparence, va les réunir : l’invasion de corneilles dans la cour. Aurore en a peur, Ludovic lui vient en aide en s’en débarrassant. L’impensable arrive : Aurore et Ludovic tombent dans les bras l’un de l’autre.
Ces deux personnages sont à un moment-clé, difficile de leur existence. Aurore fait face à son associé qui cherche à l’exclure de la société et à lui voler sa marque. Son mari Richard ne la comprend pas et joue le donneur de leçons. Ludovic supporte avec difficulté son métier, fait face aux non-dits dans sa famille, a du mal à garder des attaches dans sa campagne natale.
C’est ainsi la rencontre de deux êtres seuls dans un monde instable, menaçant, où règne aussi la misère sociale, familiale et amoureuse. Une lueur s’offre à eux. Peut-elle résister, s’attiser ? Ou est-elle condamnée à s’éteindre, soufflée par les conventions et les différences ?
Serge Joncour a su construire des personnages attachants, servis par une écriture intimiste, tendre et sensible sans être mielleuse (je suis un peu tombée amoureuse de Ludovic d’ailleurs… mais chut ! ). L’auteur a réussi également, grâce à une fine observation de son monde et de son quotidien, à créer un roman où règnent des oppositions de natures variées : ville-campagne, classes aisées-classes populaires, passion-raison…
Une pure merveille que je ne peux que vous encourager à lire. Reposez-vous sur Serge Joncour !
Serge Joncour – Repose-toi sur moi – Flammarion – 430p.