« Notre château » d'Emmanuel Régniez
Premier roman
« Je ne disais rien. On ne dit pas toujours ce qu'on pense. Je ne sais même pas si l'on dit jamais ce que l'on pense. En tout cas, depuis 11h04, je ne disais plus ce que je pensais. Et je n'allais pas dire à ma sœur ce que je pensais. Pas simplement une histoire de vérité. De quatre vérités. Ça, on se les était balancées il y a longtemps, il y a vingt ans. Recommencer ? Non merci. Nous n'allons plus changer. Pas à nos âges. Pas avec nos parcours. Pas avec les vies que nous menions désormais. Même si je ne sais rien de sa vie à ma sœur, que je ne veux rien en savoir. Nous n'allons plus changer, j'en ai bien peur – en fait non, je n'ai pas peur. De quoi aurais-je peur ? En quoi et comment ma sœur peut-elle me faire peur ? Il y a vingt ans, oui, peut-être me faisait-elle peur. Oui. Mais aujourd'hui ? Aujourd'hui je ne suis plus seul, que j'ai Notre Château avec moi, avec nous. Je sais que je peux résister à tout, que je peux résister à ma sœur. Je sais que je n'aurai plus peur – jamais. Tant que je serai dans Notre Château. Tant que je serai Notre Château. »
Octave et Véra sont frère et sœur. Ils vivent ensemble, comme un vieux couple, depuis plus de vingt ans dans leur « Château », entourés de livres.
Le jeudi 31 mars à 14h32, la vie d'Octave bascule car il voit Véra prendre le bus n°39 alors qu'elle ne le prend jamais. Elle déteste aller en ville. Elle déteste le bus. Cette vision, que sa sœur conteste, perturbe leur routine dans ce « Château » dont on ne sait s'il est un refuge ou digne d'un manoir hanté. Le doute et l'inquiétude s'installent chez les personnages mais aussi chez le lecteur qui se demande qui sont ces drôles de personnages incestueux et pourquoi ils vivent en reclus dans leur « Château ». L'arrivée d'un troisième protagoniste entretient le suspense et le sentiment de malaise.
Un bien étrange premier roman pour Emmanuel Régniez qui signe un livre dans la droite lignée de la littérature gothique. On ne peut que penser aux nouvelles d'Edgar Allan Poe ou au Tour d'écrou de Henry James. L'atmosphère inquiétante est entretenue par une écriture faite de répétitions et par l'insertion en épilogue de photographies de Thomas Eakins.
Un roman dérangeant, qui met mal à l'aise et dont on ressort sans savoir finalement si on aime ou pas tellement il est particulier, déconcertant. Une belle découverte cependant. Je ne sais pas si l'auteur compte garder cette singularité gothique mais si c'est le cas, je suivrais cela avec attention et curiosité.
Emmanuel Régniez – Notre château – Le Tripode – 160p.