« Les grandes et les petites choses » de Rachel Khan
Premier roman
« À table, il ne faut pas déconner avec les mots. David, lui, emploie des mots que mon père n'aime pas du tout. Ça doit être à cause du hip-hop. Mon père sait parler anglais à cause de la colonisation. Mon grand-père est polonais et parle aussi allemand, hébreu et yiddish. Alors, ça fait beaucoup de langues autour de la table, et mon père exige que l'on ait le mot juste pour chacune d'elles, dictionnaire à l'appui, afin d'éviter les fâcheries, les contresens et autres faux amis.
Quand je regarde mes parents, je regarde le monde. Ça ne gênait personne quand ils se sont mariés, au début des années 1970, mais aujourd'hui il y a un problème de scénario, un problème de narration de l'histoire, quelque chose qui débloque, une tumeur, un monstre qui grossit.»
Nina Gary a dix-huit ans dans le Paris des années 90. Elle est étudiante en droit à Assas. Une parisienne lambda ? Que nenni ! Nina rassemble en elle les histoires et l'Histoire. Son père est un gambien dont la famille a connu l'esclavage. Son grand-père maternel, polonais juif, a échappé à la mort dans les camps. Au-delà des langues qui se mélangent, il y a mélange aussi des cultures et des religions : judaïsme et islam. Cette singularité pose problème pour Nina qui a du mal à savoir comment se situer, surtout dans une société où être black, juive et d'origine musulmane engendre des conflits d'intérêt. La pratique de l'athlétisme en compétition devient l'occasion pour elle de s'affirmer, de donner un nouveau sens et souffle à sa vie et réussir enfin à concilier les différentes facettes de sa personnalité. Après tout, il faut savoir relativiser les « petites choses » de la vie quand on connaît la valeur des « grandes ».
Un bien joli roman, basé sur la vie de l'auteur Rachel Khan, qui mêle réflexion, humour, joie de vivre et surtout sincérité. Bien que le roman se déroule dans les années 90, la force des préjugés mais aussi celle du multiculturalisme abordées par l'auteur sont encore plus criantes de nos jours. Un roman qui redonne foi en l'âme humaine.
J'ai été ravie de cette première lecture dans le cadre de l'opération « 68 premières fois ».
Rachel Kahn – Les grandes et les petites choses – Anne Carrière – 205p.