« Le livre de l’intranquillité » de Fernando Pessoa
Le livre de l’intranquillité. Un si joli titre poétique pour un livre qui n’en était pas un à l’origine. Une malle, des feuilles éparses en héritage. Aucun plan, aucune indication : des fragments à recomposer pour donner une structure, une cohérence. Un résultat forcément subjectif qui a évolué au fil du temps, au fil des traductions.
La plupart des textes, qui forment une "autobiographie sans événéments", sont attribués à l’un des hétéronymes de Pessoa : Bernardo Soares. Dans une prose somptueuse, Soares/Pessoa se lance dans une introspection minutieuse, sans concession et livre une vision du monde assez désenchantée. Les thèmes sont nombreux : la solitude, l’ennui, l’amour, l’art, la liberté, Dieu…
Des fragments assez dépressifs où le narrateur dit : « Je voudrais que la lecture de ce livre vous laisse une impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux ». J’y ai vu aussi de l’ironie, une ironie grave. Un jeu de la part de Pessoa, un auteur qui n’a cessé de jouer avec ses doubles, avec l’écriture. Un livre qui se lit lentement, par petits bouts, et se relit.
A noter : une nouvelle édition en 2018 attribue de nombreux fragments à d'autres hétéronymes de Pessoa, notamment Vicente Guedes.
« Certains ont dans leur vie un grand rêve et ils le trahissent. D’autres n’ont pas dans leur vie le moindre rêve – et ils le trahissent tout autant ».
« J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris. Être compris c'est se prostituer. J'aime mieux être pris sérieusement pour ce que je ne suis pas, et être ignoré humainement, avec décence, avec naturel ».
« Une seule chose m’ébahit, plus encore que la stupidité dans laquelle la plupart des hommes vivent leur vie : c’est l’intelligence qu’il y a jusque dans cette stupidité ».
« Monotoniser la vie, pour qu’elle ne soit jamais monotone. Rendre anodin le quotidien, pour que la plus petite chose nous devienne une distraction ».
« Nous pouvons mourir si nous n’avons fait qu’aimer. Nous aurons failli si nous avons diverti ».
« On se lasse de tout, sauf de comprendre. Le sens de cette phrase est parfois difficile à saisir ».
« La vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, il y a un point final ».
Fernando Pessoa – Le livre de l’intranquillité – Christian Bourgois – 620p (traduction de Françoise Laye)