« Partout brûler, ardens, ardoir.
Que tout sorte
et que tu m’aimes
et que je t’aime
et prenne forme.
Découpe du corps sur fond de chaleur, de juin
de certitude de jouir ».
Pas un roman, pas un poème mais une forêt. Telle est la description dès la couverture. L’appellation « forêt » est bien trouvée car le lecteur plonge dans un monde qui lui est à la fois familier mais aussi terriblement mystérieux. La forêt c’est le théâtre du songe, des contes de fées mais aussi des légendes cruelles. C’est la selvaggia oscura de L’Enfer de Dante. Le lieu où les animaux voguent en liberté, où les Hommes se perdent… et ce n’est peut-être pas si mal, car, au détour du chemin, la beauté se niche.
« L’exil est au centre de ce texte » précise la conteuse onirique, fantastique, qui ne s’embarrasse ni d’une fin ni d’une morale. Ariane Jousse cherche à mettre le lecteur dans la peau de ses personnages en exil, en mouvement. Par choix ou par nécessité. Pour cela, elle use d’une langue sublime, poétique et de personnages qui s’emboitent, se fondent, se détachent au gré des errances. Le lecteur fait finalement un peu ce qu’il veut de ces personnages ; il est libre de broder, d’inventer autour d’eux la légende qui leur sied. L’important est de garder en soi des traces, des impressions, des sensations de la traversée littéraire. Pour qu’elles nourrissent notre palette de couleurs, notre rouge.
Et on en vient à ce rouge au cœur du titre et du récit. La fabrique du rouge où travaillait l’homme des Flandres dans la cité d’Ardâmes est plus qu’une fabrique. Le rouge, plus qu'une couleur. Ardâmes – ardere – ardoir – brûler, incendier. Ardeur. L’exil est la liberté de se laisser guider par le désir, rejoindre des contrées où le feu sacré que l’on porte en soi se révèle, s’exprime. L’incandescence des âmes.
« Je veux creuser quelque chose, une galerie,
être au milieu du rouge, au plus près de sa violence,
tout voir, tout sentir – et apprendre à étreindre ».
Marseille, Naples, Ischia sont des cités rouges pour Ariane Jousse, tout comme Pompéi où le volcan a tout ravagé.
Le rouge de la passion amoureuse. De l’amour au sens large qui vient détruire les ténèbres :
« Petit feu sombre caché parmi tant d’opacité noire – je l’ai fait naître, je l’entretiens. Appétit, désir sauvage, niché quelque part ».
La fabrique du rouge serait-elle la fabrique de l’écriture ?
Ariane Jousse – La fabrique du rouge – éditions de l’Ogre – 120p