« Le vrai virtuose mondial, c’est celui qui a peur à s’en pisser dessus et qui s’avance seul devant trois mille spectateurs, pour jouer Ravel, Chopin, Rachmaninov, sans ciller ».
Ariane Claessens se lève dans l’église où a lieu l’enterrement de son père, célèbre chef d’orchestre. Elle s’avance, s’installe devant le piano pour lui rendre hommage. Alors qu’elle avait pensé à Liszt, elle se lance dans un concerto pour violon. Les premières notes s'élèvent. L’assemblée s’étonne, s’insurge même. Elle joue l’Opus 77 de Chostakovitch, une œuvre qui a été un électrochoc pour la famille Claessens. Ariane choisit cette œuvre comme un acte de résistance, résistance qui était l’essence même de cette œuvre pendant sa création.
Durant les différents mouvements du morceau, qui forment les grandes parties de ce roman, Ariane raconte la tragédie familiale. Un père tyrannique aussi bien dans le domaine professionnel que personnel. Une mère, chanteuse lyrique, qui a sombré petit à petit. Un frère qui a décidé de clouer son violon au mur, qui a refusé de se plier aux exigences d’un milieu difficile. Une sœur qui, elle, a en revanche embrassé une belle carrière en jouant habilement sur son talent hors-norme mais aussi sur sa beauté froide et mystérieuse. Une famille vouée à procurer des émotions au public alors qu’ils sont tous atteints d’alexithymie, l’impossibilité d’exprimer leurs propres émotions.
Alexis Ragougneau livre un très beau roman qui montre bien les difficultés du milieu de la musique classique, la pression que les musiciens ont sur leurs frêles épaules, le travail acharné pour devenir l’Elu. Mais, surtout, la question se pose de savoir comment rester soi-même dans un monde où l’on se donne au public, où l’on vous oblige à être un autre.
J’ai mis un temps fou à ouvrir ce roman, freinée par je ne sais quoi, et je le regrette car j’ai pris un réel plaisir à suivre cette histoire très bien menée et servie par une bien belle écriture. L’une de mes plus belles lectures de la rentrée littéraire 2019.
Alexis Ragougneau – Opus 77 – éditions Viviane Hamy – 250p