IMG-7183

« Je suis donc tombée amoureuse d’une couleur – la couleur bleue, en l’occurrence – comme on tombe dans les rets d’un sortilège, et je me suis battue pour rester sous son influence et m’en libérer, alternativement ».

Écrire sur une couleur, ça avait déjà été fait. Écrire sur le bleu, un couleur tellement aimée de tous, est, de plus, assez commun. Il en faut plus à Maggie Nelson pour la détourner du chemin. Comme elle le dit dans son fragment 155 : « Que la moitié des adultes du monde occidental aiment le bleu ne me dérange pas plus que ça, que quelqu’un se sente obligé d’écrire un livre sur cette couleur une fois tous les dix ans environ, non plus. Je fais confiance à la spécificité et à la force de ma relation à elle pour partager ».

Et, autant vous le dire tout de suite, le partage est contagieux. Maggie Nelson a collectionné le bleu, cette couleur dont elle est tombée amoureuse, pendant plusieurs années. Elle a amassé, inventorié tout ce qui a pu être dit, écrit ou peint sur cette couleur. Puis, à partir de ce matériau, elle a mélangé son univers, sa vie, ses ressentis. Il en est sorti un livre inclassable, composé de 240 fragments à la manière d’un Roland Barthes, d’un Héraclite ou encore des Pensées de Pascal dont un extrait est en exergue. Ce livre éclaté tisse le récit de l’intime, des réflexions philosophiques, des avis critiques, le tout dans un écrin de poésie. Nous y trouvons à la fois le « je » de l’autrice mais aussi de nombreuses références artistiques, musicales, littéraires.

À travers cette couleur, Maggie Nelson ne livre pas seulement son amour du bleu, elle évoque aussi la douleur, la mélancolie – ce fameux blues – le deuil et l’amour, notamment la rupture amoureuse.

Parce que dans Bleuets, l’amour du bleu se conjugue avec celui de l’être aimé perdu, le prince bleu. Écrire sur la couleur du blues, c’est évoquer les bleus de l’âme, une rupture dont la douleur est encore palpable. « Si tu lis ceci un jour, sache qu’il fut un temps où j’aurais échangé la totalité de ces mots contre ta présence à mes côtés ; où j’aurais échangé tout le bleu du monde contre ta présence à mes côtés ». Ces Bleuets sont comme un bouquet déposé par l’autrice sur la stèle de ce prince bleu, un être tombé sur le champ de son amour. Et « peut-être qu’ainsi, avec le temps, tu cesseras de me manquer ».

Maggie Nelson – Bleuets – Éditions du sous-sol – 110p (traduction de Céline Leroy)