« C’est comme s’il avait toujours besoin que sa trajectoire en frôle d’autres. Comme si son appétit, sa curiosité, sa faim lui rendaient viscéralement impossible de renoncer à la multitude des rencontres possibles ».
La vie est de passage, autant bien choisir avec qui en être le passager. Mais choisir, est-ce si simple dans une vie qui s’étire sur la longueur tout en étant incroyablement fugace ? Le temps passe, laisse les hommes être remplacés par d’autres en de cycles immuables. Que reste-t-il de notre passage sur Terre ? Que faisons-nous de ce temps qui coule entre nos doigts ?
Dans ce roman, au titre à la Jack Kerouac et Cormac McCarthy, la question de ce que l’on fait de sa vie tourne autour de plusieurs personnages. Nous avons tout d’abord Sacha. Ecrivain, il fuit Paris et s’installe à V., dans le sud de la France, dans l’espoir d’un nouveau départ. Il cherche une route toute tracée là où il se perdait en multipliant les chemins. Il retrouve dans cette ville un ami, ancien colocataire qu’il n’a pas revu depuis près de dix-sept ans : l’autostoppeur. Nous ne savons pas pourquoi leurs chemins se sont séparés mais les retrouvailles coulent de source. L’autostoppeur, à la différence de Sacha, roule sur une route toute faite avec sa femme Marie et son fils Agustín. Et pourtant, il n’a qu’une seule envie : prendre des chemins de traverse, rencontrer des inconnus avec qui il peut partager la route, des souvenirs, des instants fugaces de bonheur. Le temps par sa monotonie douce et fade l’effraie : « j’ai réalisé qu’il ne se passerait rien. Qu’il n’y avait rien à attendre ».
Le temps n’assagit pas, malgré la routine. Le temps, au contraire, nous fait mesurer l’urgence de réaliser ses envies, ses besoins avant qu’il ne soit trop tard. Et tant pis si le bonheur n’est pas au bout du chemin, et tant pis si ça fait du mal aux autres. L’autostoppeur, en abandonnant progressivement sa famille, ne perd pas son amour envers les siens et ne cherche pas à perdre leur amour mais il se doit de chercher constamment ce qui le rend amoureux, ce qui provoque cet état. L’absence, la séparation rendent les choses et les êtres d’autant plus précieux et désirables. Parce qu’au-delà du temps, c’est aussi toute la question du désir qui parcourt ces personnages. Comment concilier le temps, par essence long, avec la fulgurance du désir ? Comment concilier l’inconciliable ? Pour l’autostoppeur, il s’agit de figer le temps pour le partager avec ceux qu’il aime à travers des cartes postales, des jeux de pistes sur les noms des villes, des polaroïds. Pour Sacha, c’est passer du temps avec Agustín et Marie dont il tombe amoureux. Pour Marie, sorte de syncrétisme des deux, c’est tenter de concilier la fuite et l’immobilité avant de trancher. Elle aime d’ailleurs tout autant l’autostoppeur pour sa soif de liberté que Sacha pour sa présence constante.
À aucun moment, Sylvain Prudhomme ne juge ces visions du monde. Comme il le dit si bien : « le monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui restent ». Mais, nous sommes tous tour à tour les uns et les autres. L’être humain, cette machine si complexe qui veut tout, ne se satisfait de rien. L’être humain, cette chose si fragile dans les choix qui le tiraillent.
Sylvain Prudhomme a l’art et la manière de nous mettre face aux contradictions du monde, de nos personnes, avec une écriture d’une simplicité désarmante de façade. Son texte est ponctué de phrases entêtantes qui montrent que son écriture est un savant mélange entre le talent et le travail, comme nos vies sont un savant mélange d’immobilité et de fulgurances.
Sylvain Prudhomme – Par les routes – L’arbalète Gallimard – 300p