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LES LECTURES DU MOUTON
30 septembre 2019

« Automne » d’Ali Smith

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« Ça ne sert à rien d’imaginer un univers, dit Elisabeth, alors que l’univers existe. Il y a le monde, et la vérité au sujet du monde.

Ce que tu veux dire, c’est qu’il y a la vérité, et la version inventée qu’on nous donne sur le monde, dit Daniel.

Non. Le monde existe. Les histoires, ce sont des inventions, dit Elisabeth.

Elles n’en sont pas moins vraies, dit Daniel ».

Je pourrais vous dire que c’est l’histoire d’une magnifique amitié entre un vieil homme, Daniel Gluck, et la jeune Elisabeth. Une histoire de transmission. Ils se rencontrent au début des années 90 en Angleterre. Elle a onze ans, lui probablement plus de quatre-vingt. Il lui ouvre les yeux sur le monde en parlant de littérature et de peinture. Elle le veille et lui fait la lecture au seuil de sa mort. Huxley, Ovide, Keats, Shakespeare et Dickens sont convoqués pour évoquer les Hard Times du XXIe siècle.

Je pourrais vous dire que c’est un roman sur le temps. Le temps qui passe et signe la fin de l’enfance et de la vie. Le temps cyclique des saisons, le temps de la tempête qui s’abat sur les pays et les peuples. Le temps historique, l’Histoire qui recommence sans cesse. Les mêmes démons qui agitent les Hommes à intervalles réguliers. Les mêmes démons qui font que l’on rejette l’autre. Les mêmes démons qui laissent penser que « c’était mieux avant ». Daniel Gluck a connu ceux de la Seconde Guerre mondiale, Elisabeth vit ceux qui touchent l’Europe, les migrants : un racisme qui ne se cache plus, un Brexit qui divise la population. Les nombreux allers-retours temporels d’Ali Smith viennent accentuer cette impression. Pourtant, à aucun moment, elle évoque directement les choses. Tout est fourni par petites touches. Parfois avec humour et en jouant sur l'absurde. Je me suis interrogée sur le physique des personnages. Dans un monde où tout devient noir, il me semble que le blanc n’est pas la couleur d’Elisabeth et c’est ce qui rend l’actualité de son pays d’autant plus criante.

Je pourrais vous dire que ce roman, d’une façon très poétique, abolit des frontières en faisant osciller le lecteur entre rêve et réalité. Pourtant, les deux ont en commun la possibilité de tout. Dans le rêve, nous pouvons inventer une vie, la sublimer. Dans la réalité, même ce que l’on n’imagine pas est possible. Parfois pour le pire. Mais n’est-ce pas le rêve qui permet d’ouvrir les bonnes fenêtres sur la réalité ? Avec Daniel, Elisabeth plonge dans un rêve peuplé de lectures, de peintures, à la manière d’une Alice, pour mieux appréhender l’autre côté du miroir, un monde où la poésie n’a plus sa place alors qu’elle n’a jamais été aussi nécessaire. Quand elle ferme les yeux et que Daniel lui détaille des tableaux, ils n’ont jamais été aussi proches du vrai. Comme un tableau impressionniste, regarder de près peut dérouter. Quel sens donner à tous ces amas de couleurs ? Mais, le recul permet de saisir l’intérêt de l’ensemble. Nos vies, notre monde sont de gigantesques peintures impressionnistes : chacun y voit et se place à la distance qu'il veut et c'est ce qui fait sa beauté et sa dangerosité.

Je pourrais vous dire que c’est un roman sur ce qu’il reste pendant les heurts, les épreuves, les tensions. L’amitié, l’amour, la famille, la littérature… L’automne annonce la perte, le deuil. Mais, nous savons tous que les arbres restent et que les feuilles finissent par renaître.

Je pourrais juste vous inviter à le lire et à vous faire votre propre avis. Nul doute que je n’ai pas su faire le tour de ce roman qui renferme tant de thèmes et de symboles... et que j'ai adoré. Hâte de découvrir les prochaines saisons.

Ali Smith – Automne – Grasset – 240p (traduction de Laëtitia Devaux)

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