« Pour les queens, il existe trois types de performance. Celle qui reproduit l’image hétéronormative. Celle qui la rejette. Et celle qui la déplace. Pour ce soir, je choisis la troisième. Je veux être différente. Briser les conventions. Réunir les hommes et les femmes, les belles pédales et les beaux fils à papa. Dans mon numéro, je vais marier les refoulés, les touristes, les locaux, les malades. Faire des nœuds dans les genres. Les bisexuels, les lesbiennes et les trans. Eclater le binaire. Faire de l’identité une grande fête, avec mes paillettes, mes revendications et ma robe d’homme homosexuel ».
Il s’appelle James. Il revient à New-York après s’être mis au vert pendant plus de vingt ans. Il croise dans un bar Victor. Leurs vies et de nombreuses années les séparent, pourtant sur le zinc, leur discussion révèle un gros point commun. L’envie d’être sur scène, l’envie d’être regardé, l’envie de se mouvoir dans un déguisement, dans un maquillage. L’envie d’être une drag-queen. L’envie d’être un monstre.
James, originaire d’Atlanta, est arrivé à Manhattan en 1980 pour toucher du doigt son rêve. Il écume les bars pour trouver un lieu où il peut révéler son monstre au grand jour. Il découvre un milieu très organisé où les queens sont regroupées en maisons avec à leur tête une queen expérimentée qui chapeaute ses « enfants ». Elle est la mère, l’exemple. Angie Xtravaganza devient la sienne. Il devient Lady Prudence, l’une des plus adulées. Et puis, le Sida vient jouer les trouble-fêtes. Les queens tombent une par une dans le champ d’une bataille perdue d’avance. Les bars ferment. Les heures de gloire sont derrière. James décide de changer de vie.
Victor n’a pas connu ces années de délires puis d’angoisses. Pourtant, être un monstre le fascine, lui, l’ex-taulard, l’hétéro marié, père d’une petite April. Il a tout abandonné. Mais qu’est-ce qu’une queen aujourd’hui, à l’heure de la téléréalité et des réseaux sociaux ?
C’est clairement un livre qui manquait dans la littérature française. Les drag-queens n’ont jamais vraiment eu un roman digne de ce nom. Julien Dufresne-Lamy leur rend un bel hommage dans une langue vive et des dialogues croustillants. À travers le récit de James et Victor, nous allons bien au-delà de l’identité. Là où l’on ne voit que travestissement, il y a une vérité dévoilée, une liberté exprimée. Les queens jouent mais ne se cachent pas : elle se mettent au contraire à nu. Voilà ce que je suis et tu fais avec sinon passe ton chemin. C’est de l’art et de l’audace, une sacrée dose de courage dans un environnement qui n’a jamais été favorable, que ce soit dans les années 80 ou aujourd’hui. Pourtant, elles continuent de fasciner. Elles sont un peu le révélateur du paradoxe humain : rejeter l’étrange, le « monstrueux » et malgré tout ne pas cesser de s’y intéresser. Parce que si on gratte un peu, sous notre peau, nous sommes tous des monstres.
Julien Dufresne-Lamy – Jolis jolis monstres – Belfond – 400p