« À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » d’Hervé Guibert
« Dans la cour de l’hôpital éclairée par ce soleil de juin qui devenait la pire injure au malheur, je compris, pour la première fois car quand Stéphane l’avait dit je n’avais pas voulu le croire, que Muzil allait mourir, incessamment sous peu, et cette certitude me défigura dans le regard des passants qui me croisaient, ma face en bouillie s’écoulait dans mes pleurs et volait en morceaux dans mes cris, j’étais fou de douleur, j’étais Le cri de Munch ».
Hervé Guibert expose le mal qui le ronge avec force, violence, franchise. L’histoire d’un corps voué à la déchéance par un sang contaminé. Une radicalité dans les propos qui n’exclut pourtant pas un récit fictionné par moments. L’auteur cherche davantage la vérité du propos que sa réalité.
On a tendance à oublier de nos jours le carnage qu’a été le Sida du début des années 80 au milieu des années 90. On a oublié la peur, l’ostracisme des malades, des homosexuels face à une maladie méconnue et rapidement fatale. On a oublié tout cela parce qu’avec l’avènement des trithérapies, la prévention s'est relâchée et le VIH est presque vu comme une maladie chronique… du moins dans nos sociétés occidentales car en Afrique ou ailleurs les ravages continuent. Il faut se placer dans ce contexte pour comprendre qu’Hervé Guibert a fait réagir en publiant ce récit en 1990 où il parle ouvertement de sa séropositivité qu’il apprend en janvier 1988.
En « sang » courts chapitres, l’auteur s’attache à faire la genèse du virus dans sa vie et celle de ses proches. Hervé Guibert fait face à ce qui l’attend en accompagnant dans la maladie son ami Muzil, pseudonyme pour évoquer le philosophe Michel Foucault, l’une des premières célébrités françaises décédées du virus en 1984. Il explique cette angoisse latente face à un virus incontrôlable, le parcours médical semé d’embûches, les préjugés sur les homosexuels qui sont considérés comme coupables – il ne cache d’ailleurs en rien sa vie sexuelle très libre.
Une fois fixé sur son sort, Hervé Guibert montre que le Sida filtre son regard et forge une nouvelle identité. L’espoir refait surface quand son ami Bill lui parle d’un protocole de soins secret aux États-Unis qui pourrait éradiquer le virus. Un espoir qui sera vite douché. Face à l’inéluctable, il s’attache à continuer de photographier et d'écrire. Sur son obsession du corps et de la mort. Ecrire pour témoigner d’une expérience de vie, d’une époque. Faire corps avec l’écriture pour oublier son propre corps qui trahit. Continuer à exister encore après la mort. Une mort qui l’enlève le 27 décembre 1991 après une tentative de suicide.
Hervé Guibert – À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie – Folio – 285p