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LES LECTURES DU MOUTON
2 juillet 2019

« Douleur » de Zeruya Shalev

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« Cette brève rencontre, muette, aura suffi pour que sa vie lui apparaisse tel un corps usé, balafré et inutile. Elle ne s’en est pas sortie et ne s’en sortira jamais, elle fait juste semblant depuis presque trente ans, n’est-il pas temps de cesser ? Elle l’a revu aujourd’hui et en a été aussi ébranlée que si elle avait vu le terroriste responsable de l’explosion du bus, n’est-ce pas le genre de chocs que ne débouchent que sur deux possibilités : mordre la vie à pleines dents, y planter ses ongles, ou, au contraire, baisser les bras. Il n’y a pas de demi-mesure ».

« Tu te souviens quel jour on est, aujourd’hui ? ». Une question maladroite posée par son mari et tout redevient douleur. Iris, quarante-cinq ans, enseignante à Jérusalem, ne peut pas l’oublier. Cet attentat subi dix ans jour pour jour a laissé des cicatrices physiques et psychologiques. Elles s'ouvrent à nouveau avec cette simple question. On tente d’oublier les dérives, les chocs de la vie mais ils réapparaissent au moment où l’on s’y attend le moins. Iris a longtemps occulté sa douleur physique mais elle lui revient comme un boomerang. Pourtant, avant ce drame, avant sa vie avec Micky et ses enfants, elle avait déjà connu la douleur. Un père décédé, une mère d’une grande dureté et la perte aussi forte qu’incompréhensible de son premier amour, Ethan. Quand le pire refait surface, elle ne se doute pas que cet amour va revenir telle une vague, pour la submerger. Ethan est chef de service dans un centre antidouleur. La douleur amoureuse qui vient soulager la douleur physique, la vie est d’une cruelle ironie. Iris replonge dans le passé. Elle n’a rien oublié de ses sentiments pour Ethan, elle n’a rien oublié de l’envie de sa peau. Mais peut-elle revivre ce qui a été perdu ?

Parce qu’à côté de la violence du choc amoureux, Iris vit une autre déflagration. Alma, sa fille qui a quitté le nid pour vivre à Tel-Aviv, est emprisonnée dans une relation toxique avec un pervers narcissique, une sorte de gourou qui l’éloigne de sa famille. L’attentat qui était propre à Iris, a laissé des traces, a infligé des cicatrices à toute la famille. La douleur s’est transmise. Pour la première fois de sa vie, Iris est à la croisée des chemins et doit faire un choix.

J’ai lu ce roman à la Toussaint et je ne savais pas comment en parler. Je l’ai laissé de côté. Récemment, je l’ai ouvert à nouveau. J’ai relu de nombreux passages qui m’avaient marqué et j’ai été surprise de retrouver l’intensité de ma première lecture. Ce roman a su me toucher de plusieurs façons. L’idée d’une douleur lancinante que l’on garde en soi, comme la mémoire morte d’un ordinateur. Le choix que l’on fait de sa vie. Peut-on se débarrasser du passé ? Doit-on tourner la page ? Le récit de l’intime qui permet d’approcher la vie en Israël, en filigrane : la conscription, les attentats, la peur permanente pour soi et les siens. La beauté de l’écriture de Zeruya Shalev, cette capacité à poser les mots justes sur des sentiments et des souffrances – qu'elle a connus pour avoir été victime d'un attentat suicide. Le baume que ce roman est pour moi pour certaines raisons.

Zeruya Shalev – Douleur – Folio – 450p – Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz.

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Commentaires
A
Magnifique chronique! J’aime beaucoup la littérature, le cinéma israéliens<br /> <br /> J’ai lu, émerveillée, « une femme fuyant l’annonce » de David Grossman, mon préféré de l’auteur et puis, « une histoire d’amour et de ténèbres » d’Amos Oz et puis Aharon Appelfeld, Alona Kimhi.<br /> <br /> J’étais contente de voir dans la liste des100 romans importants, publiée récemment dans le Monde, les deux premiers!
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