« Exploration du flux » de Marina Skalova
« C’est désespérant, d’avoir affaire à l’humanité ».
Les flux, notre quotidien. L’information nous assaille sur les réseaux sociaux. Les flux de capitaux se font nombreux avec la mondialisation. Nos corps sont eux-mêmes sujets à des flux comme les marées viennent donner vie aux océans.
Et puis, il y a les flux migratoires. Des marées humaines qui se fracassent contre « la forteresse », cette Europe qui se barricade pour se protéger de la tempête. Cette Europe qui observe de loin les écumes de ces corps sans vie repêchés ou échoués. Elle s’en indigne à coup de likes sur les réseaux mais, passée l’émotion, elle reprend le cours d’une vie autarcique.
La forteresse s’est libérée de ses frontières intérieures mais renforce celles extérieures. Elle ne peut pas accueillir toute la misère du monde même si elle a été capable de coloniser. Elle différencie les réfugiés qu’on accueille des migrants qui ne sont pas les bienvenus. Ce vocabulaire utilisé me rappelle les propos de Nathacha Appanah. Le mot « migrant » la gêne parce qu’il n’a pas de préfixe. Immigrés. Émigrés. Sans préfixe, on accepte l’idée qu’il peut y avoir un départ mais pas une arrivée. Les attentats transforment les migrants en terroristes potentiels. Ils viennent contaminer la société comme un virus attaque l’organisme.
En ouvrant ce court livre, on découvre une rage que l’écriture déploie tout en la contenant. Marina Skalova joue sur les comparaisons corporelles et maritimes pour mieux mettre en lumière toutes ces représentations, ces discours exagérés, cette politique migratoire aussi meurtrière que contradictoire. « Tout doucement, le cœur de l’Europe s’arrête de battre ». Pourtant l’auteure elle-même s’avoue un peu vaincue : son récit se termine par de courtes phrases qui montrent cette « colère atténuée, émoussée ». Le texte s’efface progressivement comme ces migrants rayés de la carte. Il reste un blanc qui met mal à l’aise. Et si l’absence de mots était plus fort que leur présence ?
Marina Skalova – Exploration du flux – Seuil – 150p