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LES LECTURES DU MOUTON
4 juin 2019

« Antonia. Journal 1965-1966 » de Gabriella Zalapí

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« Je dois tuer en moi la passivité, je dois tuer en moi ces réflexes de femme soumise, je dois tirer un coup de fusil sur mon immobilisme. Ma parole n’a aucune conséquence. Ça sent le scandale de la fin et ça n’en finit pas. J’aimerais être plus présente pour mon fils mais je n’y arrive pas. Je ne peux pas être une mère à partir de ce que je suis. Ce terme « mère » résonne comme une impossibilité profonde. Il me projette à la fois dans le mensonge et le rejet. Je ne trouve pas ma place. Je suis une imposture ».

Un ouvrage qui ne paie pas de mine. Peu de pages, des photos, des phrases qui semblent jetées ici et là. Pourtant, ce petit journal intime livre plus de choses qu’on peut le croire.

En 1965-1966, Antonia entre dans la trentaine. Elle est mariée à Franco, un riche bourgeois de Palerme. Le petit Arturo, huit ans, complète cette famille modèle. Mais, sous le vernis de la bienséance, derrière un train de vie mondain, à l’abri d’une demeure luxurieuse, un drame se joue. Antonia est enfermée, corsetée dans son statut d’épouse, de mère, de maîtresse de maison. Son couple est une farce ; il la rabaisse, elle ne le supporte plus au point de faire l’inventaire d’un corps qu’elle vomit. Elle peine à tisser des relations avec son fils qui est géré d’une main de fer par la gouvernante. La dépression est là. Une Emma Bovary des années 60. L’envie de liberté éclot mais son entourage empêche cette envie de se déployer. Même son grand-père maternel Vati, qui l’adore, ne veut pas comprendre.

Pour conjurer le sort, elle récupère les boîtes de Nonna, sa grand-mère paternelle. Elle y découvre des photos, des lettres et de nombreux carnets. En fouillant dans le passé de Nonna, elle ne se doute pas qu’elle a ouvert une boîte de Pandore. Ses découvertes l’amènent à faire le bilan de sa vie, à mettre des mots sur une enfance chaotique avec une mère peu aimante et un beau-père leste. Une certitude se fait, l’émancipation est en marche. Mais à quel prix ?

Gabriella Zalapí livre un portrait de femme tout en esquisse. Une écorchée qui va prendre petit à petit forme, matière. Les propos sont justes, les thèmes forts. J’ai eu l’impression d’être au XIXe siècle tellement il nous semble aujourd’hui improbable qu’une femme soit si peu libre en Occident. Et pourtant, que de choses à dire de nos jours…

L’auteure maîtrise à la perfection l’art de l’ellipse, ce qui peut parfois décontenancer surtout sur la fin. J’ai forcément refermé ce court livre avec une pointe de déception parce que nous sommes en attente de ce qu’Antonia va devenir, de ce qu’elle va devoir sacrifier pour vivre enfin la vie qu’elle souhaite. L’arbre généalogique en fin d’ouvrage et cette fin en cliffhanger pourraient laisser penser que nous allons bientôt la retrouver, bientôt lire la suite de ce journal mais je doute fortement que ce soit le cas. Un récit comme une fulgurance qui ne plaira pas à tout le monde mais que je trouve personnellement assez convaincant bien que trop court.

Gabriella Zalapí – Antonia. Journal 1965-1966 – Zoé éditions – 100p

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