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LES LECTURES DU MOUTON
3 avril 2019

« Le lambeau » de Philippe Lançon

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« … écrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d’autre ».

J’ai enfin pris le temps de lire Le lambeau malgré mes réticences de départ. Les critiques l’ont souvent qualifié d’œuvre majeure et, de fait, il a reçu des prix prestigieux. Il ne m’appartient pas de juger ce qualificatif que je trouve difficile à attribuer à un ouvrage sans un recul nécessaire. Je suis en revanche capable de vous dire que c’est un récit où l’auteur fait œuvre en s’utilisant comme matériau. En nous livrant son histoire, ses doutes, ses douleurs et ses attentes, nous avons l’impression de vivre ces instants avec lui. Presque à sa place. Par la sincérité, par l’évocation de pensées ou d’événements peu flatteurs, il nous révèle une humanité que nous ne pouvons que faire nôtre.

Tout commence comme au théâtre. Le décor est posé, les personnages esquissés. La situation initiale faite, l’acte I commence en douceur, dans l’évocation de la vie d’avant. Rapidement, l’élément « perturbateur » survient. Mais si dans le conte ou dans le théâtre, il n’est qu’un moyen de lancer l’histoire, dans Le lambeau il est la fin d’une vie. L’avant-Charlie est à jamais révolu. Les cinquante pages sur l’attentat sont évidemment âpres. Philippe Lançon ne nous épargne aucune de ses visions, aucun de ses ressentis mais pour autant sans voyeurisme ce qui est un véritable tour de force. Avec suffisamment de distance, il parvient à nous montrer les différences entre les perceptions qu’il a pu avoir de l’événement et la réalité. D’ailleurs où est la vérité quand chaque protagoniste a son propre vécu, sa propre vision des choses ?

Le gros du récit reste cependant la reconstruction. Physique mais aussi psychologique. Philippe Lançon passe des mois entiers à l’hôpital de la Salpêtrière puis aux Invalides. Cet univers qui fait peur devient un refuge. Pour autant, les différentes interventions lui pèsent. Sa reconstruction se fait presque à l’aveugle. Il est un cobaye sur qui on tente tout ce qui est possible, sans garantie de succès. « Le patient idéal devrait être un très bon joueur d’échec » précisait l’auteur lors de sa venue à Nantes en février. Savoir attendre, savoir accepter l’échec pour obtenir la réussite au coup suivant. Il y a également la difficulté à se reconnaître : « Ce n’est plus moi » dit-il quand il se voit sur de vieilles photographies. Alors que Proust est à la recherche du temps perdu, Philippe Lançon est à la recherche du temps interrompu par ses semaines d’hospitalisation, des semaines si longues qu’il a volontairement fait un récit lancinant, répétitif pour que le lecteur comprenne cette attente.

Si les proches ont été d’un appui indéniable, que ce soit ses parents, son frère ou encore son ex-femme, la littérature a permis aussi de faire face. Philippe Lançon cache régulièrement des livres qui lui sont chers sur son brancard, il renoue avec l’écriture en livrant ses expériences dans Libération ou Charlie Hebdo et surtout, il s’attelle à cet ouvrage où il a pour idée de « rétablir une fluidité » là où tout n’est que suspension.

Le récit s’achève sur « les retours », sur un quotidien qui reprend ses droits. Pourtant, contrairement au théâtre, le rideau ne tombe pas. Il reste encore des interventions, il reste encore des repères à fixer et des routines à acquérir. La vie, cet éternel recommencement...

Philippe Lançon – Le lambeau – Gallimard – 510p

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