« Les variations sentimentales » d’André Aciman
« Il y a une vie qui se déroule en temps normal et une autre qui surgit un jour mais fait long feu tout aussi soudainement. Et il y a aussi la vie que nous ne pourrons peut-être jamais atteindre, mais qui pourrait si facilement être nôtre si seulement nous savions comment la trouver. Elle n’existe pas nécessairement sur notre planète, mais est tout aussi réelle que celle que nous vivons – appelons la nôtre si seulement nous savions la trouver. Elle n’existe pas nécessairement sur notre planète, mais est tout aussi réelle que celle que nous vivons – appelons la nôtre ‘’vie stellaire’’. Nietzsche a écrit que des amis désunis peuvent devenir des ennemis farouches, mais continuer par mystère à demeurer amis dans une sphère totalement différente. Il appelait cela les ‘’amitiés stellaires’’ ».
À la manière d’un Je me souviens de Georges Perec, nous suivons le narrateur Paul dans son récit d’une vie, celle du désir. Cinq histoires de passion, de désir pour l’autre, à des moments différents de la vie, allant de l’adolescence à la vieillesse, viennent dresser le portrait d’un homme dans tout ce qu’il a de plus intime : l’homme dans l’attente, la souffrance, le plaisir, l’obsession ou la dévastation du sentiment amoureux. Le roman joue ainsi une sorte de partition musicale avec de nombreuses variations qui forment une œuvre sur la quête du désir, ce qu’il revêt, ce qu’il donne ou laisse.
Sur ces cinq histoires, certaines concernent des hommes. Pour autant, la question du genre, de l’identité sexuelle n’est pas véritablement le sujet du livre. André Aciman cherche plutôt à montrer le caractère universel du désir. L’important est de décrire ce qui fait vibrer Paul, une vibration toute personnelle mais qui ne peut que faire écho à chacun d’entre nous. Nous sommes tous, à un moment ou un autre, traversés par l’amour, sa folie, sa souffrance et par ce besoin irrésistible d’être arrimé à l’autre. À travers Paul, nous prenons conscience des différentes variations que nous jouons parfois à notre insu. Si nos comportements évoluent avec l’âge, la personne objet du désir ou le moment, la puissance est toujours là. Nous sommes submergés à chaque fois. Nous pouvons cumuler les expériences, nous retrouvons une sorte de virginité qui fait de chacun de ces moments de passion et de désir, une expérience inédite.
Dans ce roman, nos cinq sens sont en éveil comme le sont ceux de Paul, à l’affût du moindre signe, du moindre geste, de la moindre parole pour le libérer de son tourment. Personnellement la première partie, Premier amour et la quatrième, Amour stellaire sont celles que je préfère.
Dans la première partie, c’est la découverte du désir, c’est la perte de l’innocence de l’enfance, c’est la difficulté pour un tout jeune adolescent de faire face à ce sursaut de vie qu’il ne connait pas, ne maitrise pas. Il est touchant dans sa relation avec Giovanni dit Nanni, ce menuisier de trente ans qui vit non loin de la résidence secondaire de ses parents. Il devient pour quelques semaines son apprenti volontaire. Le travail du bois ne lui permet pas seulement d’être proche de l’homme qui l’émeut mais aussi de faire l’apprentissage de la passion. Le travail du bois devient une activité presque sensuelle. Le toucher du bois, de ses nervures, c’est toucher d’une certaine façon le corps.
Dans la quatrième partie, se pose la question de l’amour qui ne peut être vécu dans son entièreté. Parce que ce n’est plus le moment. Parce qu’il ne survivrait peut-être pas au temps qui passe. Parce qu’il est souvent beaucoup plus fort quand il est vécu par intermittence, par fulgurance.
André Aciman livre un roman à la fois mélancolique et beau. L’écriture est au service de l’émotion, du décorticage des sentiments qui nous habitent.
André Aciman (traduction d’Anne Damour) – Les variations sentimentales – Grasset – 368p