« Le discours » de Fabrice Caro
« Je suis en train de manger du gigot et du gratin dauphinois alors que le fruit de mon tourment est ailleurs et qu’une fourchette menace à tout moment de grincer dans l’assiette et la discussion ne porte même pas sur l’amour, ou la poésie, ou le sens de la vie, non, on parle de chauffage au sol, de vacances en Sardaigne, de Jean-François, le fils du voisin, qui a fait construire, tu entends ça Adrien, il a fait CONSTRUIRE. Pour ma mère, le monde se divise en trois catégories : ceux qui ont le cancer, ceux qui font construire et ceux qui n’ont pas d’actualité particulière. Entre ces deux stades, la construction et le cancer, pas grand-chose, une espèce de flottement, une parenthèse, un vide existentiel. Et chaque fois qu’elle cite quelqu’un qui a fait construire, c’est une façon de me dire de manière détournée : Toi Adrien tu n’as pas fait construire, tu es en location, qu’est-ce qu’on a raté avec toi, Adrien ? »
Adrien, quarante ans, se retrouve en plein repas de famille avec ses parents, sa sœur Sophie et son beau-frère Ludo. Jusque-là, rien de bien anormal. Oui mais voilà ce repas tombe mal, Adrien ne pense qu’à Sonia qui a voulu faire une pause dans leur relation. Il lui envoie un sms à 17h24, un accusé de réception lui parvient à 17h56 mais rien ne se passe. Pas de nouvelles. Adrien en devient fou. Il s’imagine qu’elle a un autre homme dans sa vie. Mais, parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, voici que Ludo lui demande de faire un discours pour le futur mariage de sa sœur. Durant tout le repas, nous assistons à des scènes familiales drôles, absurdes, tendres, ponctuées par la détresse d’Adrien et l’invention de plusieurs discours loufoques et caustiques.
Que ce soit dans la BD ou le roman, Fabrice Caro a l’art de disséquer les scènes de la vie quotidienne souvent aussi cocasses que dramatiques. On rit beaucoup face à l’absurdité de certains moments mais ne vous y trompez pas, ce roman est beaucoup plus mélancolique, doux-amer qu’il ne laisse présager. Adrien se retrouve à faire un bilan de sa vie à mi-parcours. Un bilan loin d’être reluisant. Il est resté cet homme introverti, « inadapté » au monde, un peu la source de déception de la famille. Fabrice Caro montre aussi à quel point la famille ne nous connaît pas forcément bien. Elle est souvent composée d’être différents les uns des autres ; pourtant, il y a une alchimie qui fait que ça fonctionne malgré tout. Et si c’était tout de même de l’amour – même quand on a juste envie d’arracher les yeux de tout le monde ? D’une certaine façon, ce roman met en lumière la pression qu’un individu peut avoir dans sa vie : pression sociale, familiale.
Une bien belle réussite, comme d’habitude j’ai envie de dire. À lire absolument !
Fabrice Caro – Le discours – Gallimard – cool. Sygne – 200p