« D’os et de lumière » de Mike McCormack
« à l’infini
Le monde entier bâti sur des principes premiers, imposants et rigides comme tout ingénieur des structures pourrait le souhaiter, chaque ligne suivant de manière nécessaire la précédente pour relier le ciel et la terre étape par étape, du premier grain du premier instant jusqu’au dernier scintillement évanescent de lumière au cours duquel tout s’engouffre dans l’obscurité, pour un ingénieur, un rêve d’ascension structurée et de stabilité boulonnée dans chacune des lignes de ces cinquante pages si soigneusement disposées que toute lecture attentive devrait permettre à un homme de trouver sa place avec assurance dans les plus lointaines étendues du monde, une tour de prière pour relier le ciel et la terre, quelque chose dont une partie de moi ne s’est jamais totalement détachée, un développement qui n’a pas eu lieu »
2019. Il a fallu attendre 2019 pour que Mike McCormack soit accessible en français. Jusqu’à présent, aucun de ses ouvrages n’avait eu ce privilège. Merci aux éditions Grasset d’avoir mis entre nos mains ce petit bijou. Je le dis d’autant plus que – vous le savez – je lis peu de littérature étrangère et beaucoup me tombent des mains. Pas celui-ci. Pourquoi ?
Ce roman est aussi merveilleux sur la forme que le fond. C’est d’abord la forme qui capte notre attention. Les premières lignes défilent avec un agencement particulier : des retours à la ligne étonnants, déroutants et puis une absence de ponctuation. Nous comprenons rapidement que ce roman de 350 pages est une seule et même phrase. Pas d’arrêt, pas de temps mort, nous suivons le flux des pensées du narrateur : Marcus Conway. Il est chez lui, un 2 novembre à midi, dans son village irlandais de Louisburgh et, tout en écoutant la radio et lisant les journaux, il rêvasse, il divague mais surtout il se remémore. Il nous raconte avec un subtil enchevêtrement des souvenirs, une pensée en amenant une autre, sa vie, ses avis, sa vision des choses et ses relations avec son entourage à travers différentes casquettes. Nous avons le mari proche de sa femme Mairead, le père d’Agnes et Darragh, l’ingénieur civil passionné qui fait face aux problèmes de sécurité tout en subissant la pression des hommes politiques locaux. Peu à peu se dessine l’homme dans toute sa banalité mais aussi sa complexité, sa beauté. Son examen de conscience nous rapproche de lui et nous renvoie en miroir nos propres qualités et défauts. D’un récit personnel, Mike McCormack tend au final vers l’universel.
L’Irlande a également toute sa place. La description du comté de Mayo (d’où vient Marcus mais aussi l’auteur), de ses contrées rurales, accidentées, balayées par le vent et la pluie est à l’image des tourments des Hommes qui l’habite. L’Homme a ses racines, son rythme calqué sur la force et l’imprévisibilité de la nature (même s’il tend à s’y soustraire). Il est ancré dans la terre tout en levant la tête vers le ciel, vers les autres. Il tente d’élever son âme, de trouver sa voie, un guide. Des êtres de racines et de rêves, des hommes d’os et de lumière.
Mike McCormack a finalement réussi à mettre dans son roman toute la cosmogonie. À sa manière, subtilement et magnifiquement. J’ai été bluffée et émerveillée. Ne passez pas à côté de ce roman.
Saluons la traduction de Nicolas Richard qui a, entre autres, traduit Patti Smith ou Richard Powers.
Mike McCormack – D’os et de lumière – Grasset – 350p (traduction de Nicolas Richard)