« Les grands espaces » de Catherine Meurisse
La légèreté m’avait permis de connaître Catherine Meurisse. Bien sûr, j’avais déjà vu ses caricatures dans Charlie Hebdo mais je n’ai jamais été une lectrice assidue de ce journal ; c’était donc ma première véritable immersion dans son univers. Ce que j’ai vu, lu m’a tellement plu que je ne pouvais pas ne pas lire Les grands espaces.
« Les filles, la campagne sera votre chance », telle est la phrase que lance la mère à Catherine et sa sœur Fanny quand ils s’installent dans le Poitou. Et oui, à travers ses magnifiques planches, nous pouvons constater à quel point la campagne, les arbres, les pierres, la solitude des grands espaces ont forgé la petite Catherine et ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui.
Deux points de vue se côtoient, celui naïf et drôle de la petite fille qu’elle était et celui de la femme qui avait envie depuis longtemps de raconter cette enfance particulière et qui, probablement, a ressenti davantage l’urgence de l’évoquer après les événements de La légèreté.
Cet album est un véritable éloge de la nature, de ce qu’elle apporte, de ce qu’elle suscite comme fantasmes mais tout en n’occultant pas la part sombre, celle de sa transformation et des menaces liées aux Hommes qui y vivent, qui l’exploitent : remembrements, monoculture, destruction d’espaces agricoles pour construire des lotissements, utilisation des pesticides. En ce sens, Les grands espaces est un album finalement assez politique, beaucoup plus que les passages très drôles sur Ségolène Royal qui rappellent l’âme caricaturiste de Catherine Meurisse. Dans cet univers, les deux sœurs s’inventent un monde onirique, fantastique où le nain de jardin parle, où les bouses de vaches deviennent des objets historiques exposés dans une sorte de cabinet de curiosités à la Pierre Loti. Les parents ne sont pas en reste avec leurs convictions écologiques avant l’heure, leur passion du jardinage et notamment des boutures de plantes ayant appartenu à de célèbres écrivains.
Enfin, tout l’album est traversé par la littérature et l’art. Un arbre centenaire est appelé Swann en hommage à Proust. George Sand, Zola sont évoqués aussi sans compter les passages à Paris où la famille visite le Louvre. Cette importance de la culture nous permet d’éclairer ce besoin d’ancrage, de retrouvailles avec le beau de Catherine Meurisse après l’attentat de Charlie Hebdo. Les grands espaces fait ainsi le pont avec La légèreté qu’elle évoque d’ailleurs. La boucle est bouclée pour ainsi dire.
En somme, j’ai beaucoup aimé cet album drôle, tendre, délicat et fantaisiste par moment. J’aime son dessin forgé par le travail de presse, parfois un peu enfantin et pourtant d’une grande précision et richesse (les détails du Louvre, la double-page 44-45 où elle mêle son environnement à celui du jardin de Versailles).
Je vous le recommande chaudement.
Catherine Meurisse – Les grands espaces – Dargaud – 90p