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LES LECTURES DU MOUTON
21 décembre 2018

« Homo sapienne » de Niviaq Korneliussen

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« Piitaq. Un homme. Trois ans. Des milliers de projets. Des millions d’invitations à dîner. Séances d’aspirateur et de ménage qui tendent incessamment vers l’infini. Sourires faux qui s’enlaidissent. Baisers secs qui se figent comme du poisson séché. Il faut éviter le mauvais sexe. Mes orgasmes simulés sont de moins en moins crédibles. Mais nous continuons à faire des projets.

Les journées s’assombrissent. Le vide en moi s’agrandit. Mon amour n’a plus aucun goût. Ma jeunesse vieillit. Ce qui me maintient en vie se dirige uniquement vers la mort. Ma vie s’est usée, flétrie. Quelle vie ? Mon cœur ? C’est une machine ».

Voilà un roman que je n’aurais jamais pensé lire parce que j’ignorais son existence. J’en ai entendu parler grâce à la libraire Marie-Laure chez Coiffard en achetant deux autres romans de La peuplade (Nirliit et Prendre corps). J’ai hésité un moment et j’ai fini par l’acheter et par le lire. Autant vous dire que ce fut une sacrée expérience.

Précisons tout d’abord que ce roman est groenlandais et ça a toute son importance. L’auteure, Niviaq Korneliussen est née en 1990 et est considérée comme la nouvelle voix de la littérature de l’île. Bien souvent, nous avons une image assez faussée du Grand Nord scandinave et de sa littérature. Nous y voyons que des paysages enneigés, des récits de chasse ou encore des histoires sur la colonisation du Groenland par les danois. Or, avec les nouvelles têtes montantes de la littérature groenlandaise, nous avons affaire plutôt à des récits intimistes où l’identité, au sens large, a toute sa place. Niviaq Korneliussen, elle, veut raconter ce qui n’est jamais raconté.

Dans Homo sapienne, l’auteure met en scène cinq jeunes de Nuuk (la capitale) dans leurs questionnements sur la sexualité, sur la pression sociale qui amène souvent à douter de soi, de ses désirs. Tous les personnages sont dans une quête identitaire dont la sexualité est le révélateur. Ce roman découpé en cinq parties dédiées à chaque personnage, permet d’aborder l’homosexualité, la transsexualité et la liberté sexuelle. Cependant, l’objectif de Niviaq Korneliussen n’est pas véritablement politique, pro-LGBT. Elle souhaite surtout parler du désir sous toutes ses formes, de façon universelle.

Ce roman est un roman générationnel. Il raconte des jeunes qui mettent du temps à se trouver mais font face à un monde où la rapidité de la communication est la norme. Nous nous forgeons une image qui ne reflète pas forcément ce que nous sommes. Le roman est truffé de références aux réseaux sociaux, aux hashtags. Le plurilinguisme est aussi de mise. Dans la version originale, le roman écrit en groenlandais (et non en danois, l’auteure l’a traduit elle-même ensuite dans cette langue) comporte des mots danois et anglais. Dans notre version traduite, nous avons aussi ce mélange étonnant français-anglais. L’anglais semble permettre de poser des mots sur des pensées, des idées que les personnages n’arrivent pas forcément à exprimer dans leur langue. Par pudeur peut-être.

Un roman atypique, d’une grande originalité qui dépayse tout en étant au final assez parlant pour nous français si éloignés de ce monde groenlandais.

Niviaq Korneliussen – Homo sapienne – La peuplade – 230p

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