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LES LECTURES DU MOUTON
28 novembre 2018

« Être beau » de Frédérique Deghelt et Astrid di Crollalanza

livre

J’ai terminé ce magnifique ouvrage il y a quelques semaines maintenant. Je n’avais pas réussi à trouver des mots à coucher sur le papier pour dire ce que je ressentais. Aujourd’hui encore, je ne suis pas sûre d’avoir les mots justes. Je me suis posé la question de cette incapacité à y arriver. Avec honnêteté je pense que c’est parce que je n’ai jamais été directement concernée, touchée par le handicap. Aussi loin que je remonte dans ma mémoire, je n’ai pas été vraiment confrontée aux personnes handicapées. Que ce soit chez moi, dans mon entourage ou à l’école. C’est comme si elles n’existaient pas. Bien entendu, j’en ai croisé comme tout le monde dans la rue, ceux que les enfants montrent du doigt – « maman, pourquoi le monsieur il est bizarre » – et que les parents s’empressent de taire – « on ne parle pas comme ça des gens » – rendant la situation encore plus pesante. Et pourtant, ces réactions d’enfants et de parents sont d’une logique implacable : nous ne sommes pas vraiment confrontés au handicap tant qu’il ne nous touche pas personnellement. Du coup, nous ne savons pas comment faire. Le souci, c’est que les handicapés ne veulent pas, et à juste raison, qu’on les considère comme des gens à part. Mais tout est fait pour qu’on le fasse. J’avoue que même aujourd’hui, quand je croise une personne handicapée pour la première fois, je ne sais pas comment réagir. J’ai peur de commettre un impair. Si je fais comme si de rien n’était, est-ce que je nie sa réalité ? Si je tiens trop compte de son infirmité, est-ce que je ne lui retire pas une part de son identité, celle d’un homme ou d’une femme qui a comme tout le monde des envies, des besoins, des joies, des peines, des inspirations que le handicap n’empêche pas d’avoir ?  Pour toutes ces raisons, je ne savais pas comment aborder cet ouvrage magnifique.
 
Cependant, je ne serais pas tout à fait honnête si je niais également à quel point je me suis retrouvée dans cet ouvrage, moi qui ne souffre pourtant d’aucun handicap. Si l’on considère que ne pas être dans la norme est un handicap, j’ai bien peur que dans le regard des autres j’en ai un. Je mesure parfaitement en écrivant cette phrase à quel point elle peut être violente et surtout révoltante pour ceux qui souffrent d’un handicap physique ou mental. Mais, pourtant, n’est-ce pas cela aussi être handicapé : être juste hors de la norme à des degrés divers et variés ? Je repense au passage sur Laëtitia, la journaliste aveugle passionnée d’équitation qui lance à Frédérique Deghelt une phrase qu’elle a entendue : « Toi tu as un handicap et tu es une fille, décidément tu as toutes les malchances de ton côté ». La beauté, cette chose éminemment sexuée, qui pèse sur les femmes est une norme. La femme DOIT être belle sinon elle est différente.
 
Personnellement je souffre d’obésité. Si ce n’est pas un handicap physique (elle touche le corps mais elle n’altère pas véritablement ses fonctions), ni un handicap mental, elle est un handicap social puissant, surtout pour une femme. Ma vie est régie par cette donnée que je ne peux pas occulter. Chacun de mes actes, chacune de mes paroles passent par le filtre de l’obésité. L’incapacité à se trouver belle, la volonté d’être marrante pour faire oublier, la façon de me tenir en public déterminent ma vie (non tu ne vas pas prendre ce petit four que l’on te tend sur un plateau, non tu ne vas pas t’asseoir sur un strapontin dans le métro). Je vis avec le regard des autres, pas avec le mien. De plus, je suis considérée comme responsable de cet état, niant la part psychologique de ce mal. Pourtant, en regardant tous ces visages, ces corps pris en photo par Astrid di Crollalanza, je les trouve tous beaux. Pourquoi ne le serais-je pas moi aussi ?
 
Il faudrait être profondément naïf pour s’imaginer qu’un ouvrage puisse changer les mentalités sur le handicap mais il a le mérite d’exister, de questionner notre rapport au monde et à nos semblables. J’utilise à bon escient le mot « semblable » parce que oui nous sommes semblables même avec nos différences. Nous avons tous notre beauté, tous notre laideur aussi mais nous sommes tous des personnes qui cherchent à vivre leur vie du mieux possible, qui font des rêves et espèrent pouvoir en réaliser quelques-uns.
Loin de vouloir nier les différences de chacun, cet ouvrage cherche surtout à faire prendre conscience de tous ces filtres qui altèrent nos regards, de tous ces fils qui nous ligotent. Pour mieux les combattre.

Frédérique Deghelt et Astrid di Crollalanza - Être beau - Stock - 192 pages

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Commentaires
E
Bravo pour cette chronique Virginie. Je me reconnais dans tes mots et tu m’as donné envie de découvrir ce livre.Merci.
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E
un magnifique texte bravo!!!!!!!!!!
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S
C'est un très bel article que tu as écrit là.
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