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LES LECTURES DU MOUTON
25 août 2018

« Le paradoxe d’Anderson » de Pascal Manoukian

manoukiananderson

« Staline avait raison. Les ouvriers s’enchaînent à leurs patrons. Ils se battent entre eux pour se faire passer les menottes, se laissent ligoter par les valeurs de l’entreprise, l’esprit d’équipe et plein d’autres conneries du même genre. Elle s’est fait embobiner, un comble pour une tricoteuse, elle a laissé filer sa vie, en répétant les mêmes gestes pendant cinq mille cent soixante-dix jours, soudée à sa machine, sans rien apprendre d’autre que ce pour quoi ils l’ont programmée, et maintenant qu’on la libère ‘’cordialement’’, elle va traîner ses marques aux poignets comme la preuve de sa bêtise et de sa docilité ».

Il est des romans qui vous agrippent immédiatement parce qu’ils mettent le doigt sur un sujet qui vous interpelle, qui parle à votre moi le plus intime. Avec le paradoxe d’Anderson, Pascal Manoukian frappe dans mon moi intime en évoquant pourtant une classe sociale, celle des ouvriers. Si l’histoire s’était passée dans le Nord, en Seine-et-Marne, en Loire-Atlantique ou dans n’importe quel autre département, l’identité aurait été moins forte. Mais voilà, nous sommes dans l’Oise et c’est ma terre natale, du moins celle de mes grands-parents, de mon père. Une terre agricole et une terre ouvrière. Mon arrière-grand-père travaillait dans les carrières et mon grand-père était journalier puis a travaillé dans une usine de métallurgie jusqu’à sa retraite. Trente années dans la même usine mais c’était les années 50/60, il y avait eu la reconstruction et l’industrie battait son plein. Mon grand-père a eu sa retraite en 1980, deux ans avant ma naissance mais surtout un an après le second choc pétrolier. Il n’a pas connu la crise économique, le chômage. Pourtant toute sa vie il a lutté pour les ouvriers, il était communiste comme la plupart de ses camarades de travail. Il était à l’image de « Staline », le surnom donné au grand-père d’Aline. Un homme qui se battait pour ses convictions mais ne se doutait pas que les générations suivantes vivraient des heures plus sombres dans cette mondialisation galopante.

Christophe et Aline ont la quarantaine. Ils vivent à Essaimcourt, fictif village oisien où les ouvriers, telles des abeilles, s’activent dans la ruche de l'industrie. Elle est ouvrière textile chez Wooly, il est contremaître chez Univerre. Deux enfants qui sont la fierté : Mathis et surtout la grande, Léa, qui va passer son bac. Ils travaillent dur pour payer les traites de leur maison et assurer le quotidien. Mais Aline se retrouve sans emploi, Wooly a délocalisé une partie de sa production. Le quotidien devient plus compliqué mais la situation s’aggrave quand Univerre se lance dans une grève. Des indemnités chômage chiches, des semaines de grève non payées, l’équilibre familial vacille. Aline et Christophe tentent malgré tout de sauver les apparences devant leurs enfants. Ironie du sort, le programme d’économie de Léa se frotte aux problèmes de la famille : déclassement social, casse marginale et ce fameux paradoxe d’Anderson que je vous laisse découvrir si vous ne connaissez pas.
Pascal Manoukian a su à travers ce roman dresser un portrait sociologique du monde ouvrier d’une grande finesse et un portrait politique et économique d’une cruelle réalité. Je me suis rendue il y a quelques années dans l’Oise après plus de quinze années d’absence, la mort ayant frappé mes grands-parents et j’ai été stupéfaite par ces hommes et ces femmes usés, broyés. J’ai vu les affiches du FN fleurir sur les murs, les ponts des routes. J'ai découvert que le village de mes grands-parents avait fusionné avec deux autres communes pour survivre économiquement. J’ai vu ce que je ne voyais pas enfant parce que c’était peut-être encore sous-jacent. J’ai vu ce que décrit avec une si grande justesse Pascal Manoukian et j’ai eu une pensée presque honteuse : heureusement que mon grand-père était mort pour ne pas voir ça. Quand la mondialisation rend les pauvres encore plus pauvres et les riches encore plus riches, quand la mondialisation engendre une violence latente, insidieuse mais finalement encore plus dangereuse, que reste-t-il ?

Pascal Manoukian – Le paradoxe d’Anderson – Seuil – 300p

Du même auteur : 

" Les échoué " de Pascal Manoukian - LES LECTURES DU MOUTON

" Parfois, mieux valait laisser les plus faibles se reposer une journée et reprendre la marche forcée le lendemain. D'autres fois, mieux valait abandonner le lot sur place, en plein désert, et partir en chercher un autre. C'étaient des choix d'épiciers : il fallait savoir sélectionner sa marchandise, bien la répartir dans les cagettes.

http://www.leslecturesdumouton.com
" Ce que tient ta main droite t'appartient " de Pascal Manoukian - LES LECTURES DU MOUTON

Mais quelle claque ce roman ! S'il est d'une grande dureté, il est tellement nécessaire et si bien narré que ce roman mérite d'être lu par le plus grand nombre.

http://www.leslecturesdumouton.com



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