« Juliette de Saint-Tropez » de Valentin Spitz
« D’elle on m’a tout dit. Qu’elle était nymphomane, folle, égoïste. Qu’elle avait eu mille amants. Qu’elle avait dirigé des entreprises. Qu’elle avait été extraordinaire. Qu’elle avait été monstrueuse. Qu’elle les avait écrasés. Qu’elle les avait sauvés. Qu’elle avait été la plus belle femme du monde. Qu’elle avait eu Paris et les hommes à ses pieds. Les femmes aussi. Qu’elle avait eu des chiens et des grosses voitures. Qu’elle s’était appelée Nicole. Puis Juliette. Qu’elle avait fait le tour du monde. Qu’elle avait préféré son garçon à toutes ses filles. Qu’elle avait aimé. Follement. Qu’elle avait tout sacrifié. Pour eux. Qu’elle avait vécu.
Je ne sais pas si cette femme-là a été heureuse.
Moi, cette femme-là, je ne l’ai pas connue. Je n’ai connu qu’elle ».
Ne vous y trompez pas. Sous ses allures de roman d’été avec un titre rappelant le fameux port de la jet-set et cette couverture claire digne des Nuits blanches d’Eddie Barclay, se cache un roman fort.
La photo de la femme sur cette couverture intrigue déjà. Port de tête royal, sourire flamboyant. On veut tout de suite la connaître. Et on a raison de le vouloir car cette femme a un destin incroyable.
Elle, c’est Nicole. Née orpheline de père et délaissée par une mère préférant sa sœur Marion, elle développe un côté libre, solitaire tout en cherchant à être admirée. Devenue femme, elle attire les hommes mais ne tombe pas forcément sur les bons. Son premier mari Georges avec qui elle a trois enfants se révèle alcoolique et violent. C’est dans les bras de Jacques, son patron d’alors, qu’elle refait sa vie et se forge un destin. Exit la petite Nicole, bienvenue à Juliette qui devient une femme de plus en plus indépendante, libre, forte et exubérante. Elle se construit une vie à son image quitte à faire payer les pots cassés à ses propres enfants qui finissent par se déchirer, gangrénés par des jalousies et rancœurs dont Juliette est bien souvent à l’origine, de façon volontaire ou non.
Lucas, son petit-fils, double littéraire de Valentin Spitz, se met en tête d’écrire un livre sur cette grand-mère fantasque. Il prend rendez-vous régulièrement avec elle pour tenter de percer le mystère mais enquête aussi en parallèle sur les hommes de sa famille. Pourquoi ces derniers n’ont jamais eu leur place ? Qui est son grand-père Georges Kowalski ? Pourquoi son propre père n’a laissé aucune trace et n’est jamais évoqué par sa mère ? Quelle place pour lui dans cette famille devenue un véritable gynécée ?
C’est sans compter sur la dernière folie de Juliette : la disparition.
Nous suivons dans ce roman la vie de Nicole/Juliette des années 50 aux années 2000 en alternance avec les propres réflexions de son petit-fils. J’ai trouvé l’écriture fluide, addictive et surtout la construction remarquable. Au-delà de la description de cette femme extraordinaire qu’est Juliette, j’ai été fascinée par les questionnements sur ce qu’est une famille, quelle influence elle a sur ses membres. Peut-on sortir indemne d’une vie familiale bancale ? Valentin Spitz montre aussi le cheminement de l’écrivain face à son sujet : doit-on écrire sur tout ? Peut-on écrire sur soi et sa famille ?
Un roman qui se dévore et qui ne pourra que vous laisser des traces… Juliette a encore réussi son coup, vous ne pourrez que l’aimer… et Lucas saura être attachant. Précipitez-vous dessus.
Valentin Spitz – Juliette de Saint-Tropez – Stock – 430p