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« Le chauffeur s’était adossé à sa voiture et fumait une cigarette. C’était un grand homme noir en costume. Il me regarda approcher. Il tirait très longtemps sur sa cigarette, puis, au bout d’un moment, recrachait une épaisse fumée blanche qui se dissipait. Je lui dis que je voulais gagner Paris. Il me fixa et se mit à rire. Paris ? répéta-t-il. Je ne vais pas jusque-là. Et puis ça vous coûterait très cher. Combien ? demandai-je. Il se gratta le menton en écrasant sa cigarette. Dans les cinq cents euros, dit-il, peut-être plus. C’était vraiment beaucoup. Alors Clermont-Ferrand, dis-je. Clermont, c’est bon pour moi, dit-il. Il entreprenait déjà de ranger ma valise et ma raquette dans le coffre. Nous nous installâmes à l’intérieur, lui au volant et moi derrière, côté vitre.

Nous roulions en écoutant une douce musique jazz ; mon chauffeur était très agréable, il ne parlais jamais. A la sortie de Mende, nous fûmes un moment ralentis derrière la longue ligne des tracteurs, toutes lumières allumées, qui partaient de la ville. Bientôt, la route fut assez large pour que mon chauffeur puisse les dépasser, par la gauche. Nous remontions dès lors, à faible allure, la longue procession des machines, sombres et puissantes dans la nuit, dont les gyrophares et lanternes brillaient comme les bougies flottantes de pèlerins égarés »..

Ce livre, je vais être franche, je ne l’aurais probablement jamais lu si Lisa Balavoine n’en avait pas parlé le soir d’une lecture avec Sophie Lemp. Je ne l’aurais probablement pas lu parce que je ne le connaissais pas et franchement ça aurait été bien dommage de passer à côté.

En commençant la lecture, j’ai été assez surprise par le déroulé de l’histoire, par le côté nonchalant du personnage principal. Le narrateur – dont le nom de sera jamais dit – est en vacances en pleine campagne lozérienne. Alors qu’il prend sa douche, sa compagne Marceau – oui je sais c’est curieux comme prénom pour une femme – s’enfuit en l’enfermant à clé dans la maison. Complètement seul, non véhiculé, sans réseau téléphonique, nu comme un ver en sortant de la douche, le narrateur se transforme en une sorte de pantin, de somnambule qui erre. Il déambule dans la campagne, semble ne pas se préoccuper tant que cela de la disparition de sa femme, trouvant même dans la solitude une compagne pas si désagréable que cela. Ses sorties dans ce désert humain qu’est la Lozère l’amènent cependant à faire des rencontres incongrues. Des hommes mais aussi des animaux comme ce troupeau de moutons à l’abandon depuis la mort de leur propriétaire. Dieu s’immisce aussi dans son univers d’une façon inattendue. Toutes ces rencontres sont celles de personnes seules comme lui. L’absence est partout, dans les lieux et dans les gens. Le narrateur vit ces instants avec une forme de passivité qui peut étonner. Il se laisse porter par les évènements ou leur absence.

Finalement, il se décide à rejoindre Paris pour revoir Marceau dans un long périple qui l’amène à traverser ces lieux de France désertés, oubliés et parfois méprisés par les gens, par les institutions. Une France qui n’a pas le droit de citer et qui pourtant est là, bien là, pleine de son absence et de sa faiblesse.

Un premier roman déroutant mais qui, sous ses allures de divagations littéraires, dit plus de choses qu’on ne le pense.

Romain Meynier – Revoir Marceau – Cambourakis – 110p