« Ombre parmi les ombres » d’Ysabelle Lacamp
« Tout de même, s’habitue-t-on à ne plus être qu’un numéro ?
Une petite boîte, une allumette tiens, qu'on
empile sur des milliers d'autres petites boîtes, qu'on
aligne à côté de milliers d'autres allumettes : numéro
185 443, mesdames et messieurs ! Et hop, comme ça,
sorti du chapeau ! Si ça vous fiche pas un coup à l'égo ! »
Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je me réjouis de voir Robert Desnos à l’honneur ces derniers temps. Non pas qu’il soit mon poète préféré mais parce que sa vie, son authenticité, sa poésie, son intégrité et son combat pour la liberté méritaient tellement ces honneurs. Après le merveilleux Légende d’un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant en août dernier, Ysabelle Lacamp s’empare elle aussi de ce grand poète pour nous fournir un livre tout aussi sublime. Ysabelle a choisi de raconter les derniers instants de Desnos dans le camp de Terezin (Theresienstadt). Ce camp-ghetto ouvert de 1941 à 1945 avait une place particulière dans le monde concentrationnaire. C’était un lieu de dissimulation, de subterfuge pour la propagande nazie. Le camp était présenté comme une « station thermale », un lieu de tranquillité pour les juifs allemands, tchèques et autrichiens. On y mettait des personnes connues du milieu culturel pour en faire une vitrine de la « bonne volonté des nazis ». Bien évidemment tout ceci n’était qu’un odieux mensonge.
Pour autant, Terezin était véritablement un lieu où la vie culturelle existait, vivait grâce aux bonnes volontés des déportés. Les enfants étaient instruits, on organisait des concerts et des pièces de théâtres. Une quantité impressionnante de dessins d’enfants ont été retrouvés. Des adolescents se sont aussi regroupés en un courant appelé la République de Skid. Ils écrivaient des articles, des blagues, des poèmes dans une revue clandestine appelée Vedem (« Nous menons » en tchèque).
Dans son plus grand des malheurs, Robert Desnos est tombé sur le camp des poètes dont il était l’un des plus emblématiques.
C’est dans ce contexte fort qu’Ysabelle Lacamp fait se rencontrer Robert Desnos et le tchèque Leo Radek, représentant de ces jeunes épris de culture du camp de Terezin. Une éphémère mais solide amitié se tisse entre eux. L’admiration est instantanée et réciproque. Ils forment ensemble la résistance sous toutes ses formes notamment culturelles. L’auteure montre aussi l’importance de la transmission, que ce soit celle de Desnos envers Radek comme celle plus universelle de la mémoire des horreurs qui peuvent à tout moment recommencer. Comment ne pas y être sensible en nos périodes troublées ?
Desnos était déjà très malade, à bout de force mais son esprit restait vivace. En plus de ses conversations avec Leo, des rêves brumeux peuplaient ses nuits. Il y voyait sa sirène Youki et son étoile Yvonne. La langue puissante, le phrasé de toute beauté, poétique à souhait d’Ysabelle Lacamp sont à la hauteur de l’hommage rendu à Desnos et à la hauteur de la mémoire de ces jeunes enfants et adolescents du camp de Terezin, décédés pour 90 % d’entre eux.
Ysabelle Lacamp – Ombre parmi les ombres – Editions Bruno Doucey – 180p