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Je revois mon petit frère dire à mes parents « je m’ennuie ». Cette petite phrase arrivait souvent en voiture. Mes parents tentaient de le divertir à grands coups de « oh regarde la vache dans le pré ! », « dis-moi le numéro de département des plaques des voitures ». Bref, des choses qui occupent qu’un temps limité. Puis sa mine boudeuse apparaissait et il ne parlait plus. Moi non plus. Je ne sais pas ce que pensait mon frère pendant ces moments où la léthargie avait fini par le gagner. Moi par contre je sais ce que je faisais : je collais ma tête contre la vitre, je regardais le paysage et je tombais dans mes pensées. J’imaginais la vie des gens que je voyais dans leurs voitures ou j’imaginais ma vie. Je trompais l’ennui avec l’imagination. Aujourd’hui, je le fais encore en voiture et j’entends souvent mon mari dire « ça va ? ». Oui je vais bien, je suis juste dans mon monde, je déconnecte.

Guillaume Siaudeau, lui, trompe l’ennui en écrivant. Parfois ce sont des romans à l’image de l’excellent Pas trop saignant, souvent des poèmes. La première fois que je me suis rendue sur son blog, La méduse et le renard, j’ai été surprise par sa poésie. Économie de mots, pas de rimes, des sortes de haïkus mais libérés de leur carcan. Parce que si tout peut se prêter à de la poésie, la poésie se prête elle-aussi à tout le monde. Nul besoin d’être un styliste, il suffit de bien observer son monde et de se laisser aller : « La poésie est partout. Elle ne se cache pas. Je pense qu’elle se cueille plutôt comme un fruit » comme l’auteur le signale en préambule de sa « ligne de fuite » en fin d’ouvrage.

L’ennui permet ce laisser-aller, c’est pour cela qu’il est l’ami du poète. Ainsi, l’essentiel n’est pas la forme, pas le sujet, il est ce qu’il procure en peu de mots. Et force est de constater que la poésie de Guillaume Siaudeau procure des émotions : un sourire, un regret, une allégresse, une pensée.

Tant de bonheur

A revendre

Sans doute de la contrefaçon (p. 44)

 

Quand il pleut

Sur sa tombe

Il neige dans mon cœur (p. 65)

 

Poème

refait à neuf

tout équipé

prose à débattre (p. 71)

Ces poèmes sont de petits bijoux de tendresse, d’ironie, de fantaisie qu’il est bon de relire régulièrement, par petites touches. Ils donnent aussi envie de se révéler, de se libérer, d’écrire ses poèmes ou autre chose. Ils apportent un souffle, une autorisation, une invitation à la création. Il est temps d’inaugurer l’ennui et il est temps aussi d’inaugurer l’envie, la créativité, la beauté et la simplicité d’être et de faire.

Guillaume Siaudeau – Inauguration de l’ennui – Alma éditeur – 140p