« Une assemblée générale de copropriétaires, quel spectacle passionnant ! C’est un chaudron, une arène, un ring où l’on règle ses comptes, publiquement, avec tous ses voisins qu’on déteste ; mais il faut continuer de cohabiter ensuite avec eux, d’où la difficulté : frapper fort pour soulager son cœur, mais pas trop, pour éviter la guerre.
C’est une épreuve de stratégie. Il faut passer des alliances diverses, en fonction des sujets ; tel voisin insupportable sur le chapitre du bruit peut se révéler un partenaire précieux dans une coalition visant à faire obstacle à telle décision qu’on désapprouve ; il faut donc lui faire doucement la leçon sur le bruit, mais ne pas s’aliéner son soutien pour la décision. Retournements de veste et hypocrisie garanties ; je répète, c’est un spectacle ».
J’ai beaucoup de chance en ce moment, je tombe sur plusieurs romans originaux, férocement drôles et avec une critique de notre monde contemporain.
Avec L’Affaire Mayerling, on s’attaque à du béton armé puisqu’il s’agit ici d’une histoire loufoque avec comme toile de fond le monde merveilleux de l’immobilier. Le narrateur et son comparse Braque enquêtent sur une affaire qui a secoué le petit monde tranquille d’une ville de province.
Nous sommes à Rouvières. Comme partout ailleurs pullulent de nombreux programmes immobiliers que de nombreuses agences se font un plaisir de vendre par la suite. Dans le centre-ville de la ville, un programme voit le jour : le Mayerling. Construit par un obscur promoteur espagnol, cet immeuble accueille de nombreuses familles venues vivre le rêve de la propriété. Car si tu rates ta vie quand tu n’as pas de Rolex à cinquante ans, visiblement elle est aussi ratée quand tu n’as pas ton acte de propriété passés les trente ans. Mais voilà que peu de temps après la livraison et l’occupation des lieux, les habitants vivent de drôles d’événements. Valérie et Vincent Lemoine sont au bord de la rupture alors qu’ils espéraient un enfant, Mme Camy fait dans la nymphomanie, M. Paul ne supporte plus le bruit de ses voisins du dessus, M et Mme Lequennec reçoivent dans leurs canalisations toute la merde (au sens « propre ») de leurs voisins. Bref, les tensions sont exacerbées et les phénomènes étranges se multiplient. Mais surtout, les occupants du Mayerling s’aperçoivent que leurs maux disparaissent quand ils s’éloignent de leurs appartements. Et si l’immeuble était malfaisant ?
Bernard Quiriny livre une véritable bombe littéraire sous des allures de fable (ou plutôt de thriller) absurde. J’ai eu l’impression que les personnages étaient enfermés dans l’Overlook Hotel de Shining version déjantée. Tout le monde de l’immobilier en prend pour son grade : les promoteurs suspects et voleurs, les agents hautains, les syndics aux abonnés absents sauf pour faire payer. Mais il y aussi toute une réflexion sur le vivre ensemble. Les personnages qui subissent une malédiction sont en fait des versions très grossies de la réalité. Combien de gens se plaignent de voisins bruyants ou râleurs par exemple ? Ce roman a un bon regard sociologique de la copropriété somme toute. Tout est bien amené, bien construit et avec un début tonitruant quand le narrateur et Braque analysent les affiches des constructions immobilières. Un pur délice.
Je vous le recommande +++ (sauf si vous êtes en pleine opération immobilière lol).
Bernard Quiriny – L’affaire Mayerling – Rivages – 272p