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« Je m’invente des ancres pour rester amarrée à la vie, pour ne pas être emportée par le vent mauvais, je m’invente des poids pour tenir au sol et ne pas m’envoler, pour ne pas fondre, me dissoudre, me perdre. Toutes ces choses ténues, dérisoires, je m’y accroche pour repousser le prénom qui cogne à mes tempes, à mon cœur, à tout mon corps, pour tenir à distance ce halo d’ombre qu’il agite autour de moi. J’invente tout ça pour me protéger de la houle qui arrive en traître, de côté, qui donne de la gîte à ma pauvre embarcation. Et ma tête tourne, ivre de tant d’absence, de mon Louis volatilisé, disparu, perdu. Et rien, jamais rien pour me rassurer, pour m’aider à accélérer le passage des jours, à escalader les nuits, à compter les mois, les années, les siècles, l’éternité. Rien pour m’aider à ne pas perdre pied, pour résister au champ magnétique du Trou du diable et de toutes les sirènes de brume. Et chaque jour je retourne sur le chemin ».

J’avais lu des romans de Gaëlle Josse que j’avais beaucoup aimé comme Le dernier gardien d’Ellis Island ou L’ombre de nos nuits. J’y avais trouvé une sensibilité, une finesse dans l’écriture. Mais là, avec Une longue impatience, je ne m’attendais pas à une telle émotion. Jamais je n’aurais pensé autant pleurer en refermant ce roman et pourtant les larmes étaient bien là. Comment décrire un tel ouvrage, un tel souffle ?

Dans ce magnifique roman, Gaëlle Josse nous raconte une femme et sa douleur. Anne Quemeneur, veuve Le Floch, ne voit pas son fils Louis, seize ans, rentrer à la maison. Elle apprend qu’il a pris la mer à l’image de son défunt père. Commence alors une longue et douloureuse attente pour cette femme. « Je ne suis qu’une déchirure » dit Anne à un moment. Cette phrase résume parfaitement cette femme blessée au plus profond de son cœur, tiraillée, déchirée entre l’amour inconditionnel pour son fils et celui qui reste fort pour son second époux.

Comment vivre l’absence ? Comment ne pas tomber dans la folie quand on attend chaque jour au port le retour de son fils ? Malgré la douleur et la tristesse, Anne Quemeneur choisit le silence et la dignité. Elle garde tout en elle, comme un puit sans fond, comme une grotte. Elle garde tout pour ne pas sombrer et ne pas faire sombrer son entourage. Il faut rester debout aussi parce que dans un petit village breton des années 50, tout problème ou toute faiblesse se répand comme une trainée de poudre dans les maisonnées. Il faut faire face, donner le change même si à l’intérieur tout est en cendres. Anne Quemeneur choisit aussi l’espoir, l’espoir du retour quitte à le rêver, à le sublimer aux limites de la folie que seul l’amour peut donner. Elle écrit de longues lettres à son fils où son amour transpire partout même dans la description d’un repas qu’elle donnerait en son honneur.  Anne a aussi la force, l’abnégation de composer avec un amour qui fait mal. Comment continuer à aimer son mari qui lui a à la fois tout donné et tout pris ? Comment être un couple avec cette absence entre eux ? Et puis, il y a cette fin bouleversante qui fait basculer notre cœur. Une fin que j’ai relu malgré les larmes parce que c’est peut-être triste mais c’est aussi très beau.

Merci Gaëlle Josse de nous avoir donné ce portrait de femme si bouleversant, si fort et fragile à la fois. Merci pour cette poésie, pour cette pudeur dans chaque mot. Merci pour la délicatesse de votre écriture. Merci de nous montrer – si besoin en était – que la littérature nous donne des émotions incroyables, des frissons.

Je souhaite une longue et belle route à ce diamant littéraire.

Gaëlle Josse – Une longue impatience – Notabilia – 190p

Du même auteur : 

" Le dernier gardien d'Ellis Island " de Gaëlle Josse - LES LECTURES DU MOUTON

Mise à jour : 24/01/2016 Gaëlle Josse livre un très beau portrait d'homme qu'Ellis Island a bouleversé à jamais. Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island, J'ai lu, XXX pages (Édition originale : Noir sur blanc /Notabilia).

http://www.leslecturesdumouton.com
" L'ombre de nos nuits " de Gaëlle Josse - LES LECTURES DU MOUTON

omment un peintre aborde-t-il un sujet ? Comme un nouvel amour ? Collision frontale ou lente infusion ? La claque ou la pieuvre ? Le choc ou la capillarité ? Plein soleil ou clair-obscur ? Toi, tu m'avais éblouie. Ensuite, je me suis aveuglée. " Ce nouveau roman de Gaëlle Josse nous raconte deux histoires parallèles.

http://www.leslecturesdumouton.com