« L’art de perdre » d’Alice Zeniter
« Choisir son camp n’est pas une affaire d’un moment et d’une décision unique, précise. Peut-être, d’ailleurs, que l’on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l’on voudrait. Choisir son camp passe par beaucoup de petites choses, des détails. On croît n’être pas en train de s’engager et pourtant, c’est ce qui arrive ».
L’art de perdre, un bien joli titre tiré d’un vers d’Elizabeth Bishop qui vient parfaire ce roman d’une grande beauté. Alice Zeniter nous offre une belle fresque familiale de 1930 à nos jours, de Kabylie en France. Trois générations d’une même famille racontent leur quotidien, leurs choix (ou absence de choix), leurs doutes et leurs capacités de gré ou de force à s’adapter à de nouvelles situations, à de nouveaux modes de vie, à un autre pays. Outre sa grande puissance romanesque, Alice Zeniter fournit ainsi un ouvrage à la fois historique et sociologique.
Nous suivons tout d’abord le parcours d’Ali, petit propriétaire terrien devenu notable, qui se retrouve insidieusement, malgré lui, à choisir un camp au moment où la guerre d’Algérie éclate. Il devient un harki, celui qui a trahi les siens pour les Français alors que les choses sont bien évidemment plus compliquées que cela. La seconde partie du livre est consacrée à Hamid, le fils d’Ali, du camp de Rivesaltes à sa rencontre avec Clarisse en passant par son vécu avec toute sa famille dans une HLM normande. Il prend progressivement ses distances avec ses origines, avec sa famille qui lui en demande beaucoup et lui fait un peu honte. Enfin, la dernière partie est consacrée à Naïma, la fille d’Hamid. Tout en étant proche de sa famille paternelle, elle se sent à part, le cul entre deux chaises. Elle est française mais on lui balance sans cesse ses origines algériennes et son statut de petite-fille de harki. Elle est l’Arabe, voire une graine de terroriste. Elle s’interroge sur ce que c’est d’être harki, elle veut comprendre. Son travail dans une galerie d’art lui offre l’opportunité d’aller en Algérie pour découvrir sa famille, son histoire, ses origines.
C’est un roman sur la perte et la quête des origines mais aussi sur l’identité en France quand on est le fruit d’une culture mixte. C’est également un récit sur la difficulté d’être soi quand on se sent différent de la place qu’on souhaite t’attribuer.
Un très grand roman qui méritait sans conteste le Goncourt des lycéens (ah que ces lycéens ont bien meilleurs goûts que les professionnels).
Alice Zeniter – L’art de perdre – Flammarion – 505p
Découvrez l'avis "coup de coeur" de Nicole Grundlinger de Motspourmots :
Magistral ! Je ne vois pas d'autre mot pour qualifier ce roman. Peut-être est-il ce qu'il convient d'appeler un grand roman. Celui par lequel la lumière se fait soudain sur un sujet jusque-là totalement ténébreux, celui qui vous prend par la main, vous...
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