Questions à… Gaëlle Nohant, auteure de « Légende d’un dormeur éveillé »
@David Ignaszewski-koboy
Parmi les romans de la rentrée littéraire 2017, il y en a un qui se détache par son travail de documentation, son style, son élégance et sa poésie… et son héros. Un héros moderne, tel qu’on le rêve dans les romans. Et pourtant, ce héros n’est pas vraiment de fiction, il était de chair et de sang : c’est le poète Robert Desnos, mort en 1945 dans un camp tchèque de Theresienstadt.
Déjà remarquée pour son précédent roman La part des flammes, Gaëlle Nohant redonne vie à Robert Desnos et nous fait voyager dans le Paris culturel des années 30 grâce à Légende d’un dormeur éveillé.
Avec beaucoup de gentillesse, elle a accepté de répondre à mes modestes questions.
Pourriez-vous nous résumer en quelques phrases le sujet de ce beau roman ?
Ce roman, c’est l’histoire d’un petit gars des Halles qui avait eu l’idée saugrenue de devenir poète, mais qui était aussi un grand amoureux (du genre chevaleresque) et un ami en or (du genre à partager avec vous son unique chemise), et un courageux toujours prêt à se battre contre la bêtise et l’injustice (même s’il n’était pas très costaud et était myope comme une taupe). Il aimait la vie et la liberté à en mourir. Il était colérique et tendre, incroyablement doué pour créer et pour aimer, joyeux et volontiers provocateur. Ses amis s’appelaient Man Ray, Prévert ou Jean-Louis Barrault, ses amoureuses étaient fatales et toujours surprenantes. Ce roman invite à emboîter le pas d’un homme extraordinaire depuis l’effervescence du Montparnasse des années 30 jusqu’au Paris de l’Occupation, et c’est comme si, tout à coup, tout un monde ressuscitait devant vous et que vous étiez invités à refaire le monde au bistrot avec une bande de potes géniaux, vivants et libres. Et le plus beau d’entre eux, c’est ce Robert Desnos que vous ne connaissiez pas, ou de très loin, comme une mélodie venue de l’enfance. J’espère qu’en refermant ce livre, vous vous demanderez comment vous avez pu vivre si longtemps sans l’avoir rencontré.
Pourquoi ce titre Légende d’un dormeur éveillé ?
Le Dormeur éveillé, c’est ainsi qu’André Breton avait surnommé Desnos à l’époque où ils expérimentaient les « sommeils hypnotiques » surréalistes, pour libérer l’inconscient et lui redonner toute sa place dans la création artistique. Desnos est un dormeur éveillé, un rêveur lucide et même clairvoyant, il a les pieds bien ancrés sur la terre même s’il se promène à sa guise entre le conscient et l’inconscient. Eveillé est aussi à prendre dans un sens mystique : à mesure que le monde se ferme autour de lui, Desnos ne cesse de s’ouvrir aux autres, et finit par accéder à une forme d’humanité plus profonde.
Ce livre n’est pas une biographie, voilà pourquoi j’ai ajouté « légende » à roman. Même si la trame du livre est vraie et s’appuie sur une base importante de recherches, la chair est inventée : les émotions, les ressentis, les scènes d’action, les conversations, tout ce qui donne la vie à Desnos et à ceux qui l’entourent. La fiction est un moyen d’atteindre une forme de vérité. Et aussi de rapprocher le lecteur de Desnos, de l’attacher à lui bien plus profondément que dans une biographie, où l’on reste toujours extérieur au sujet. Dans une biographie, on raconte l’intégralité de la vie. Moi je scénarise 15 ans de la vie de Robert Desnos pour mettre en lumière la cohérence de son destin.
Quel travail préparatoire avez-vous effectué ? Combien de temps vous a pris l’écriture du roman ?
J’ai lu à peu près 200 livres, consulté nombre de documents audiovisuels, la presse de l’époque… J’ai consacré deux ans de ma vie à ce roman, deux années complètes : au détriment de mes soirées, de mes week-ends, de mes vacances. Sans quoi je n’aurais pu le terminer si vite, étant donné la somme de travail qu’il représentait. J’y ai mis toutes mes forces, mais je ne le regrette pas car je pense que Desnos méritait bien ça. Et je crois que cette intensité, qui est dans le roman, allait bien avec ce héros qui a vécu sa courte vie sans jamais s’économiser.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs retiennent avec votre roman de Robert Desnos ?
Que si la vie est une loterie où l’on ne tire pas toujours de bonnes cartes, il nous appartient de rendre notre vie féconde, heureuse et lumineuse. Ce que Desnos nous fait comprendre, c’est que « le bonheur est une question d’énergie » et que le secret est sans doute d’être capable de le créer sans attendre que les conditions soient idéales, à travers les relations que l’on tisse avec les autres : la solidarité, l’amitié, l’amour…
Le roman est l’occasion de découvrir la personnalité complexe de Youki, la dernière compagne de Desnos. Pensiez-vous au départ que ce personnage serait si important ?
Dans un roman qui est ma lettre d’amour à Desnos, je devais restituer toute sa place à son grand amour. Mais j’ignorais tout de Youki, et elle me demeurait mystérieuse. Elle me fascinait et m’agaçait par sa liberté, sa frivolité, son égoïsme. Lui donner la parole dans la quatrième partie m’a obligée à partir à sa recherche, à enquêter, à me poser mille questions sur elle, sur ce qui l’avait construite, ce qui lui avait donné cette liberté de ne pas s’encombrer de ces notions de dévouement, de sacrifice qui pèsent si lourd dans l’histoire des femmes. Et j’ai découvert une héroïne incroyable, qui se révèle au moment où on lui enlève l’homme qu’elle aime sans en avoir pris conscience. Elle m’a tour à tour bluffée, fascinée, bouleversée. Le chemin qu’elle fait vers Robert lui permet de se hisser à la hauteur de son amour pour elle. Cette histoire d’amour prend alors une autre dimension : celle d’un véritable amour qui comporte des rendez-vous manqués, qui fait avec le ratage, la solitude, mais dont les deux protagonistes finissent par se rejoindre dans un lien assumé et lumineux.
Outre votre fascination pour Robert Desnos, Paris est lui aussi un personnage à part entière dans ce roman comme dans le précédent (La part des flammes). Pourquoi la capitale vous inspire-t-elle autant ?
Peut-être parce que je suis née et que j’ai la chance d’y revenir souvent en invitée, en amoureuse. Paris est pour moi la ville de mes déambulations, de mes rêveries. Comme Desnos, je n’en finis pas de l’arpenter, de la redécouvrir car elle est à la fois cette ville où l’on croise à chaque pas les traces d’autres vies et une ville en perpétuel changement, qui n’est jamais tout à fait la même et réserve toujours la possibilité de la surprise, d’une rencontre inespérée, d’un détour intrigant, d’un déroutage... Et parce que j’aime Paris, j’aime ressusciter ses visages disparus : celui de la Belle Epoque dans La part des flammes, et ici le Paris enchanté des années 20, cette Bohème artistique chaleureuse et fauchée qui a forgé les plus grands artistes du XXème siècle. Au fond, c’est ce que je ressens quand je me promène dans Paris : le tumulte de toutes ces vies qui se mélangent et se croisent, réveillant des fantômes, des échos, des rêves qu’on avait oubliés.
Selon vous, pourquoi faut-il lire Desnos de nos jours ?
Parce que sa poésie s’adresse à tout le monde et nous rappelle ce qui nous rassemble, ce qui vaut la peine qu’on se batte aujourd’hui pour le défendre : les plaisirs simples de la vie et la dignité des hommes, l’amitié, l’amour qui s’accompagne du risque de perdre et de la souffrance mais nous emmène jusqu’aux cimes et donne son prix à l’existence, le dialogue entre les êtres, la richesse d’une rencontre… le courage aussi de ne pas se trahir, de ne pas faire de compromis avec ce qu’on est. Le destin de Desnos brille comme une boussole, il aide ceux qui le fréquentent à être plus heureux et peut-être plus courageux, à risquer, à être tout entiers dans l’instant pour attirer à eux le bonheur. Il me semble que le fréquenter donne envie de créer, de vivre et d’aimer, et que ce qu’il laisse en définitive, c’est un grand éclat de rire joyeux envoyé au visage de la mort. Parce que même s’il est mort, en vrai, il a gagné.
Vous pouvez retrouver ma chronique sur Légende d'un dormeur éveillé sur le lien suivant :
" Ils sont à peine plus nombreux que les Apôtres mais autour de cette table, ils représentent tout ce que les croisés de la morale et de la religion abhorrent. Le monde nouveau dont ils souhaitent l'avènement ouvrirait la connaissance à tous, serait fait de dialogues entre les peuples et de respirations, de la liberté de penser et d'aimer qui bon vous semble, d'une répartition plus juste des richesses ".
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