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LES LECTURES DU MOUTON
7 novembre 2017

« Mistral perdu ou les événements » d’Isabelle Monnin

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Grosse claque ! – rentrée littéraire 2017

En cette rentrée littéraire, j’avais pris une grosse claque avec le livre d’Erwan Larher. Avec ce Mistral perdu d’Isabelle Monnin, j’en ai pris une seconde. Le « hasard » a voulu que j’achète le livre lors d’une rencontre justement avec Erwan et Isabelle à la librairie Millepages de Vincennes. Très sensible aux paroles, à l’émotion de l’auteure, je me suis posée aucune question en l’achetant. De plus, j’avais apprécié Les gens dans l’enveloppe.

Pourquoi Mistral perdu est une claque comme l’avait été Le livre que je ne voulais pas écrire ? Pas uniquement parce qu’ils racontent le tragique en musique (pour paraphraser le flyer d’invitation de la librairie) mais parce qu’ils évoquent des blessures personnelles dans un récit collectif et même générationnel. Ils ont presque le même âge et racontent à leur manière une génération et une société perdues, désenchantées (pour le coup on pourrait mettre Mylène Farmer en bande-son).

Mais évoquons surtout le livre d’Isabelle puisqu’il est le cœur de ce billet.

Isabelle est née au début des années 70 dans une famille d’intellectuels de gauche de Franche-Comté. Elle a une relation fusionnelle avec sa sœur, cadette de trois ans. Les parents les appellent « les filles », renforçant cette proximité. Nous les suivons enfants et adolescentes dans leurs joies et leurs peines. Le récit est tressé avec les événements politiques et sociaux des années 70 et 80 comme les élections de Mitterrand ou les débuts de SOS Racisme avec la controversée campagne Touche pas à mon pote. Nous vivons ou revivons ces événements avec elles, avec la bande-son de l’époque notamment celle de Renaud qui devient le chanteur-fétiche d’Isabelle. L’entrée dans l’âge adulte coïncide avec le début des années 90. Chute de l’URSS, fin du rideau de fer, on fait croire à cette génération que l’Histoire est finie, celle que les baby-boomers avaient faite (et mieux que tout le monde si on les écoute !). Pourtant, c’est le début d’une prise de conscience. Avec la perte de l’enfance, l’insouciance s’envole progressivement. Mais les espoirs demeurent et on construit sa vie comme si de rien n’était jusqu’à…

« Nous sommes les filles, nos parents sont les Trente Glorieuses et les possibles sont à portée de nos mains. Depuis les premières tables de multiplication, on nous explique que si nous étudions, nous y arriverons, que travailler permet de s’élever quelques que soient les situations et les relations de nos familles. La belle école de France, nous dit-on, est la blanchisseuse des inégalités. La méritocratie a remplacé une autre -cratie, celle des héritages à particules. Nous ferons mieux que nos parents, qui eux-mêmes ont fait mieux que les leurs : si l’on se donne de la peine, la République, avec son grand air, tiendra ses promesses. C’est ainsi qu’arrive, petit tambour mesquin, l’idée que réussir sa vie ne dépend que de soi, et que, puisqu’elle est possible, la réussite est obligatoire. Est-ce une chance ? Une injonction faussement libératrice ? Pour l’heure, nous ne savons pas que l’obligation de se réaliser laissera certains d’entre nous sur le bas-côté et que les concours sont une souffrance autant qu’une chance. Si on veut, on peut, nous répétons-nous – entre deux crises de spasmophilie ».

Deux chapitres intitulés Mort I et Mort II viennent cruellement mettre fin à ces espoirs. Les rêves sont définitivement brisés. Il y a les pertes de deux êtres chers. Comme si le monde le savait, il se met lui aussi au diapason de la douleur et de la violence : 11 septembre, montée du FN, attentats… Le monde d’Isabelle a vacillé, le monde tout court a vacillé. Renaud lui-même a vacillé, a sombré mais est encore là, debout, malgré les épreuves. La génération d’Isabelle est encore là aussi, debout. Elle lutte comme elle peut, avec difficulté. Isabelle a trouvé l’écriture pour mettre des mots sur ses maux… mais que peut-on faire pour le monde ?

« Les endeuillés cherchent comme des perdus un sens au malheur, on dirait des animaux faméliques fourrageant une terre morte, ils s’inventent des signes, construisent des ponts imaginaires, qu’ils ne soient pas rationnels leur importe peu, puisque plus rien n’a de sens, on peut bien croire ce que l’on veut. Je regarde les twins towers s’écrouler et je nous vois, les twin sisters pulvérisées. C’est la même fin du monde. L’hébétude est notre état. Mon chagrin est le nouvel ordre mondial. Quelqu’un nous détruit et nous n’en revenons pas. Quelqu’un ricane de notre supposée fin de l’histoire et ça nous tétanise. Lui chante Manhattan Kaboul sur toutes les ondes. La voix de caramel d’Axelle Red n’adoucit rien ».

Je suis ressortie profondément bouleversée de ce récit. J’ai beau avoir dix ans de moins qu’Isabelle Monnin, je me suis retrouvée dans son enfance, son adolescence avec sa sœur. Mais surtout, je suis moi-même perdue dans ce monde tumultueux où l’insouciance a disparu depuis longtemps. Comment faisons-nous pour vivre avec ça ?

Je remercie Isabelle Monnin d’avoir su, à travers un récit intimiste, mettre les mots sur ce qu’une génération a vécu, vit et sur ce qu’elle tente de continuer à être…

Isabelle Monnin – Mistral perdu ou les événements – Lattès – 205p

Du même auteur :

" Les gens dans l'enveloppe " d'Isabelle Monnin (avec Alex Beaupain) - LES LECTURES DU MOUTON

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite... ou pas ! Acquérir sur le web des photos de famille d'inconnus a permis d'offrir l'un des ouvrages les plus originaux de cette rentrée littéraire. Tout d'abord parce qu'en plus d'un livre écrit par Isabelle Monnin, on a également un CD de chansons réalisé par son ami Alex Beaupain.

http://www.leslecturesdumouton.com

L'autre claque de cette rentrée littéraire 2017 :

" Le livre que je ne voulais pas écrire " d'Erwan Larher - LES LECTURES DU MOUTON

" Comment le monde pourrait-il continuer à être si je ne suis plus ? Il ne peut pas me survivre, n'est-ce pas ? Si je meurs, le réel meurt, vous mourez tous [...] Là, en devenir-parquet, devenir-barrière, je ne sais pas si j'ai peur, je ne prie pas, mais je ne veux pas mourir, c'est certain.

http://www.leslecturesdumouton.com
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Commentaires
S
J'ai découvert Isabelle Monin avec Les gens dans l'enveloppe et celui-ci m'a fait de l'œil depuis sa sortie. Je pense que je vais finir par craquer.
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L
Ton billet donne envie! Mais du coup on n’est pas dans un roman?<br /> <br /> J’avais aimé les gens dans l’enveloppe, alors je me laisserai tenter! Merci
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L
Pas mieux qu'Arthémiss !<br /> <br /> J'aime ces romans qui dépeignent toute une génération. Allez encore un à ajouter ;-)
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A
Putain... Je n'ai pas assez d'une vie pour tout lire ! ;)
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