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LES LECTURES DU MOUTON
4 novembre 2017

« Un loup pour l’homme » de Brigitte Giraud

louppourlhomme

« Antoine se demande si le courrier est lu [censuré]. C'est une question qui a souvent été débattue entre les gars. Certaines lettres envoyées par les appelés n'ont jamais été reçues, ce qui a créé dans les familles, et avec les fiancées, des malentendus parfois lourds de conséquences. Comme s'ils avaient besoin de cela, semer le doute auprès des leurs, leurs seuls soutiens. Il suffit de faire courir le bruit pour que les appelés se censurent d'eux-mêmes. C'est la meilleure méthode de surveillance. 
Antoine n'a pas dit ce qu'il a vu, ce qu'a raconté Oscar, ce que lui ont confié les blessés. Il n'a pas écrit le plus difficile, le plus incompréhensible, le plus choquant, pour s'épargner lui-même, comme si écrire enfonçait le clou de la réalité. Il est plus facile de taire, d'omettre et finalement d'ignorer. Surtout quand on sait que, de l'autre côté, personne ne veut entendre. Pourquoi écrire ce que personne ne veut lire ? Ce serait s'isoler encore plus loin. Pourquoi venir déranger le cours des choses, les pensées toutes faites que la radio relaie : le maintien de l'ordre n'est pas une guerre, les appelés ne meurent pas, l'armée française ne torture pas, les Algériens ne sont pas des sous-citoyens ».

Printemps 1960. Antoine est appelé pour aller en Algérie. Il doit ainsi laisser sa femme Lila, enceinte, en France. Ne voulant pas être directement sur le théâtre des opérations, il suit une formation de soignant et se retrouve affecté à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. S’il ne voit pas la violence des combats, il en voit les conséquences : la douleur physique et morale. Antoine ne s’attendait pas à un tel choc mais, malgré tout, il se lie à Oscar, un amputé de la jambe complètement mutique.

Dans le même temps, ces appelés vivent des moments d’une grande banalité – comme si la guerre n’existait pas : voyages en bus, permissions au bord de la mer, barbecues… Lila finit même par le rejoindre et à accoucher sur place. Mais, tout n’est qu’un masque. À travers le personnage d’Antoine, nous avons affaire à des jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui finissent marqués à vie quand ce n’est pas la vie qu’on leur enlève. De plus, les événements s’accélèrent fin 1960, la tension monte, les peurs aussi…

Avec une écriture fluide, concise mais évocatrice, Brigitte Giraud aborde un aspect peu traité dans la guerre d’Algérie à savoir le sort des conscrits, leur vie quotidienne. Même si le roman aborde les pieds-noirs, les Algériens (et notamment les harkis), le sujet principal est ce qu’il se passe dans la tête d’un soldat français de vingt ans dans une guerre qui n’est pas vraiment la sienne. Je regrette cependant des longueurs, une impression de lenteur dans le récit qui ne m’a jamais vraiment quittée. C’est dommage. Toutefois, la psychologie des personnages est très travaillée et la fin est assez marquante (même si prévisible). Ce roman est d’autant plus précieux pour l’auteur que les personnages sont inspirés de ses propres parents. En effet, Brigitte Giraud est née justement à Sidi-Bel-Abbès fin 1960. C’est la petite histoire dans la grande. C’est la mémoire familiale dans la mémoire collective de la guerre d’Algérie.

Brigitte Giraud – Un loup pour l’homme – Flammarion – 245p

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Commentaires
Z
Il y a des vagues d'actualité pour les livres. En ce moment, la guerre d'Algérie et Alzheimer sont souvent le thème des livres. Je pense que je le lirai
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A
J'ai aimé ce point de vue justement... ;)
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L
J'aime bien cet entrelacs entre la grande et la petite histoire.<br /> <br /> <br /> <br /> Pas mal de romans autour de l'Algérie en cette rentrée, non ?
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