« Vivre près des tilleuls » de L’AJAR
Premier roman
« Le chagrin est moins un état qu’une action. Les heures d’insomnie, puis le sommeil en plomb fondu sur les paupières, la prostration dans le noir, la faim qui distrait la douleur, les larmes qu’on ne sent plus couler : le chagrin est un engagement de tout l’être, et je m’y suis jetée. On me dit de me reprendre, de faire des choses pour me changer les idées. Personne ne comprend que j’agis déjà, tout le temps. Le chagrin est tout ce que je suis capable de faire. »
Devenu dépositaire des archives de l’écrivaine suisse Esther Montandon, Vincent König découvre, en classant les cartons, une chemise intitulée « factures ». Or, aucune facture ne s’y trouve mais des pages manuscrites se révélant être un journal de deuil. L’auteure a en effet perdu au début des années 60 sa fille Louise alors âgée de quatre ans. Elle y raconte les moments de joie avec sa fille et surtout la vie ou plutôt survie après ce drame. Vincent König décide de regrouper ces écrits dans un recueil intitulé Vivre près des tilleuls. C’est cet ouvrage publié qu’on nous invite à lire… mais pas de Vincent et encore moins d’Esther : le roman n’est en effet pas l’œuvre d’Esther mais celle sortie tout droit de l’imagination, du brainstorming de dix-huit jeunes auteurs romands qui forment le collectif littéraire L’AJAR.
C’est cet exercice de style collectif qui est remarquable dans cette œuvre : comment peut-on réussir à écrire un « Je » qui est à la fois singulier et autre quand on est si nombreux à intervenir dans l’histoire ? Force est de constater que cet exercice est pleinement réussi car nous avons affaire à un récit sensible, délicat, qui ne verse à aucun moment dans le pathos. Et surtout, ces jeunes auteurs ont réussi le tour de force d’être constants, réguliers dans l’écriture. À aucun moment on ne ressent une différence de style. Une bien belle réussite. Un collectif à suivre de près.
L’AJAR – Vivre près des tilleuls – Flammarion – 130p